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un voyage

décrire l’entrée bondissante d’un danseur de ballet, j’ai l’illusion de pénétrer jusqu’au fond le sens de cette église. Les angelots qui jouent avec les clous sacrés et les calices, les loges de théâtre, les statues tout s’anime. L’accord des choses entre elles est si juste, l’illusion si puissante et exquise, que je ne changerais pas ce sanctuaire frivole contre la plus sublime cathédrale, ni même la médiocre musique de Reissiger contre celle de Bach. L’instant est parfait au point de suspendre le désir.

Je laisse là les visions moroses que chacun de nous traîne après lui. J’abandonne ce goût de responsabilité qui inquiète le cœur, la pitié qui le déchire : tout ce qui nous rend plus purs et plus tristes. Et ces gens d’autrefois, dont je sens la vie palpiter autour de moi, je les suis dans le jardin de leur existence, ce jardin toujours fleuri où, pour mieux oublier qui l’on est, on se costume en nymphes et en bergers… Ils jugeaient que les heures sont charmantes pourvu qu’on en écarte cela seul qui peut les assombrir : l’ennui. Ils voulaient s’amuser au bal, à l’église, dans l’amour. — Et ils s’amusaient prodigieusement. Ils voulaient des couleurs claires et gaies comme les matins de printemps, des lignes sinueuses qui affirment le perpétuel mouvement. Et pour les satisfaire on a créé un art exquis, nerveux, d’une jeunesse éternelle. Leurs vices montraient tant de franchise qu’on leur pardonne presque. Ils avaient horreur de vieillir, et vieillissaient avec un goût charmant. Ils avaient horreur de la mort et, avec un courage allègre, mou-