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un voyage

par l’abus des sensations. Les deux bouches ont une mollesse amère, les yeux on ne sait quelle lassitude masquée d’ardeur et d’orgueil. L’excès des plaisirs et des émotions a singulièrement renforcé l’air de famille. Mais ce n’est pas son seul tempérament de viveur enragé qu’Auguste transmet à son fils. Le sang royal mêle aux appétits des Kœnigsmark le besoin de régner.

Toute sa vie, excepté peut-être dans la bataille où il s’assouvissait pleinement, Maurice rêva d’un trône. Jeune, il lutte avec une obstination furieuse pour obtenir, puis garder le duché de Courlande, et quand il l’eut irréparablement perdu, jamais sans doute il ne cessa d’y penser. Il faillit régner sur un bien autre territoire que la Courlande. Par deux fois, le trône de Russie sembla possible à saisir. Anna Iwanowna, qui devait être tzarine, aimait tendrement ce beau garçon, si brave. Mais au lieu de soigner ces chances magnifiques, il s’amouracha d’une suivante, se fit surprendre et perdit son espoir. Ensuite, on veut qu’il épouse la fille de Pierre le Grand, Elizabeth, mais il semble avoir joué la partie mollement et sans véritable entrain, lui, qui savait si bien se faire aimer ! Probablement ce n’étaient pas les royaumes qu’apportent des femmes éprises dont il avait le grand désir, mais ceux qu’on empoigne soi-même dans le péril, l’aventure, le jeu héroïque. Et cependant, comme il voulait régner ! Que n’imagine-t-il pas : une couronne en Amérique ; puis à Madagascar, où il aurait les pirates pour sujets ; en Palestine,