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serie et le pauvre Favart qu’on lui préférait, et la charmante femme qui lui résistait. Or, ce grand-père parlait souvent d’une voix forte dans l’âme du héros. C’est lui, croyez-le, qui, lorsque Voltaire assure au maréchal qu’il ne reviendra pas, s’il va joindre l’armée, mourant comme il est, riposte : « Il ne s’agit pas de vivre, mais de partir ! » Et à Fontenoy, lorsque Maurice de Saxe, crevant d’hydropisie et de fièvre, se fait traîner dans une voiture d’osier sous la mitraille, c’est l’indomptable ancêtre encore, qui met en lui l’énergie surhumaine de vaincre, presque à l’agonie. Parmi beaucoup de terrible, les Kœnigsmark ont du magnifique.

Cependant, on trouve chez le maréchal de Saxe une tendance qu’il ne doit ni aux ancêtres, ni à sa mère frivole, ni à son père libertin. La guerre est son art, non la tuerie. Je ne pense pas que, comme Charles XII, il eût jugé une campagne où on triomphe sans massacrer beaucoup d’hommes, ennuyeuse et « trop pareille à la chasse ». Il ménage la vie humaine et a une sorte d’indulgence chaleureuse pour les faiblesses. Ce brave admet la peur des autres, s’y attend comme à chose naturelle et quasi légitime. Avec une gentillesse qui pardonne, il l’appelle « l’imbécillité du cœur ». Il voit les petits, sait qu’ils existent, est bon pour ses soldats et les aime. On se rappelle toujours avec plaisir, comment, un officier général lui proposant un coup de main dont la réussite exigeait le sacrifice de vingt grenadiers, il répondit : « Vingt grenadiers ! Passe encore si c’étaient vingt lieutenants géné-