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nuremberg

chose remue soudain, puis ne remue plus : une forme vaguement rousse qui se confond avec le terrain. C’est une antilope. Plantée sur ses pattes minces, elle m’examine de loin. Je marche vers elle, alors avec des bonds élastiques elle file, s’enfuit je ne sais où. Le bruit de son galop s’entend quelques secondes, puis rien. Je suis seule. Il y a dans ce jardin une absence de bruit qui n’est pas vraiment le silence. Et cette solitude où j’avance n’est pas vraiment la solitude…

L’ombre augmente, je vais au hasard, sourdement émue. La notion du temps est toute renversée dans mon esprit. Que ce soit « aujourd’hui », je n’en crois rien. Et ce n’est aucun des jours dont se compose mon « autrefois ». Cette minute que je vis, j’ignore où la situer. Elle ne se rattache point à celles que je viens de vivre. Elle ne se rattache à aucun moment qui m’appartienne. Ce trouble étrange se complique bientôt d’un malaise précis, que pour le coup je raccorde à des choses déjà éprouvées. Je sens qu’un être invisible me regarde. Il n’y a personne. Rien ne bouge… Je me suis arrêtée, je cherche. Les pins font une obscurité presque complète autour de moi. Mais il reste de la lumière dans le ciel. Mes yeux sont attirés vers un point où les branches écartées laissent un vide pâle. Et je vois qui me regarde !

À sept ou huit mètres du sol, au sommet d’un arbre mort trois énormes vautours sont perchés. Ils me tournent le dos, mais tous les trois ont comme dévissé leurs affreuses têtes, de sorte qu’elles sont