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un voyage

l’ai vu dans l’extrême jeunesse et avant tout autre musée étranger. Je l’aime comme une personne.

Toujours j’y entre avec un cœur frémissant de respect, et, il faut le dire, de crainte aussi. Quand je me suis attachée à lui d’une si forte tendresse, il n’était pas logé dans le riche monument d’aujourd’hui, mais dans une maison assez modeste, pas trop claire, où, aux murs des petites pièces, les tableaux avaient un mystère prodigieux. La première fois que j’ai traversé les salles du musée actuel, de quelle peine se mêlait ma joie à retrouver mes chefs–d’œuvre adorés ! Violemment éclairés, étalés, livrés, me semblait-il, à l’indifférence et à l’incompréhension, mal avoisinés, ils n’avaient plus sur eux la poésie secrète d’autrefois.

La Ronde de Nuit, surtout, me donnait du chagrin. Pour lui faire honneur, on l’avait mise bien en vue, au bout d’une immense galerie. De chaque côté de la galerie s’ouvraient nombre de petites pièces où étaient accrochées une dizaine de toiles. À la sortie de chacune, on retrouvait là-bas, au fond, le tableau insigne. D’abord, on ne le voyait pas très bien ; puis, à mesure qu’on avançait, un peu mieux. L’impression des œuvres regardées dans les petites salles se mêlait à l’impression confuse et intermittente qu’on avait de lui. Quand on arrivait enfin, la fine pointe de la surprise était émoussée, l’âpreté de l’admiration diluée. Il semblait qu’il ne voulût pas de vous, ce tableau !

Mais il n’est plus là ! On aura compris qu’il lui fallait la solitude, l’intimité. Je vais le voir peut–