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CATHÉDRALE DE MILAN.

ambitieux de mettre sur son front la couronne d’Italie, voulait dominer en tout : et c’est ainsi que fut entreprise la plus grande cathédrale de la chrétienté. Il y fallait, pensait-on, une architecture allemande, mais selon le goût italien ; or, sauf la coupole et la façade, l’église est le compromis équivoque d’une lutte de quinze ans entre le style du Nord et le style italien.

Moins encore que pour la cathédrale de Florence, il ne peut être question ici, pour la cathédrale de Milan, d’un architecte proprement dit. La construction fut aussitôt commencée d’après le plan conçu en 1386. Elle est l’œuvre d’une collaboration entre un maître allemand inconnu et médiocre[1] et des ingénieurs lombards, au premier rang desquels il faut placer Simone da Orsenigno. Pendant quinze ans, différents maitres allemands sont l’un après l’autre, appelés à Milan. Régulièrement ils condamnent, chacun à leur tour, ce qui a été fait ; leurs plans sont rejetés et au bout de quelques mois ils sont eux-mêmes congédiés. D’après leurs esquisses, les ingénieurs, au nombre desquels se trouvent plusieurs « Campionesi », forment un projet qui répond à leur propre goût. Puis, malgré l’étrangeté du fait, ici comme à Florence, pour chaque membre de l’édifice, une sorte de concours est ouvert ; le vainqueur, pendant l’exécution de cette partie du monument, devient ingénieur en chef (inzignerius generalis), sauf à rentrer peu après dans le rang des artisans à la tâche.

Dans la séance du 1er mai 1392, fut approuvée la coupe qui a prévalu ; celle d’Henri Arler de Gmund fut rejetée, et lui-même congédié. En juin 1393, est dressé le chapiteau modèle formé de groupes entiers de statues sous des baldaquins, lesquels conviendraient peut-être partout ailleurs qu’ici. Plutôt que d’exécuter ce chapiteau et de donner à la fenêtre centrale du chœur la même forme qu’aux deux autres, Ulrich de Fussingen, en 1385, préféra retourner à Ulm. Jean Mignot, de Paris, se maintint pendant deux ans ; mais en 1402 ses projets n’eurent pas une meilleure destinée. Le chœur et le transept étaient achevée, l’architecture du monument désormais fixée.

Les murs entre les chapelles ayant été supprimés, malgré l’avis d’Orsenigo, l’édifice obtint cinq nefs. L’exécution assez inanimés du détail gothique a été poursuivie jusque de nos jours ; le travail en est sans expression et sans charme. Les bases sont vraiment barbares. Mais ce détail gothique est répandu avec une telle profusion sur l’ensemble de la cathédrale, qu’une agréable illusion empêche de remarquer la stérilité d’idées dans la terminaison du chœur, les formes arbitraires de la coupole[2] et des façades des transept (où jadis, au lieu d’absides, étaient les portails).

  1. À en juger d’après la forme du chœur, se devait être un Bavarois ou un Autrichien.
  2. « Une offrande de l’esprit de la Renaissance sur la tombe du gothique disparu », exécutée par Omodeo et Dolcebuono au commencement du XVIe siècle. Il est difficile de savoir à quel point les deux artistes ont suivi le plan de Francesco di Giorgio, accepté en 1430.