Page:Burckhardt - Le Cicerone, 2e partie, trad. Gérard, 1892.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
494
PEINTURE DU MOYEN ÂGE.

travaillées directement par des artistes venus de Grecs, et les mosaïques simplement faites sur ce modèle, Toujours est-il que pendant des siècles il n’y aura qu’un petit nombre de mosaïques religieuses qui échapperont complètement à l’influence de Byzance.


Les vieilles mosaïques chrétiennes ont un grand intérêt historique, et pour deux raisons. D’abord, elles montrent comment les figures des livres saints, surtout du Nouveau Testament, se reflètent dans les pensées de ce temps. Pour le type du Christ, il se peut qu’il y ait eu une ancienne tradition, plus précise qu’on ne le croit généralement. Le costume du Christ et des apôtres est symbolique, bien qu’emprunté au fond à l’art romain. Les autres personnes se distinguent par un costume en quelque sorte professionnel. Dans les têtes, il y a sans nul doute la recherche d’un certain idéal, non point un idéal de beauté sensible, mais plutôt un idéal d’ascétisme monastique, qui donne aux traits une expression sombre, grognon, presque sauvage. — En second lieu, dans les mosaïques apparaît un système de pensées et d’expressions religieuses, créé moins par l’art que par l’Église elle-même, et qui forne un monument historique de premier ordre. C’est, d’ordinaire, l’Église triomphante qui s’exprime dans de telles œuvres ; le thème principal est, non point le pèlerinage terrestre de Jésus et des Saints, mais leur glorification apocalyptique. Ces figures sont, non point dans l’espace, mais dans l’infini, sur un fond bleu, et plus tard (très régulièrement) sur un fond d’or. Le terrain sur lequel elles reposent est une surface toute unie, ou un Paradis symbolique caractérisé par des fleurs, par l’eau du Jourdain, par les fleuves du Paradis, etc. Les mouvements sont mesuré et solennels, ils expriment l’être et l’essence plutôt que l’action. — Pour apprécier équitablement le cercle de pensées dans lequel l’art se meut ici, il faut en partager ou s’assimiler par sympathie les croyances de ce temps. L’opposition des prophètes et des apôtres, par exemple, n’est autre que le parallèle de la promesse et de l’accomplissement. Un pas solennel, une génuflexion est le symbole de l’hommage ; le mouvement des bras signifie, selon les circonstances, le discours, la prière ou l’exercice de la puissance. L’esprit du siècle est tellement possédé de ces idées qu’il va au devant de l’expression, que la plus simple allusion lui suffit et l’instruit, sans qu’il ait besoin d’une indication plus précise, plus détaillée ou plus claire. Comme nous le disions plus haut, jamais en Occident l’art n’a été plus limité, plus déterminé ; jamais non plus les contemporains ne lui ont tant prêté ni tant accordé.

La description de tout ce cycle d’images nous entraînerait trop loin. L’ouvrage de Platner sur Rome (Beschreibung der Stadt Rom ; Stuttgart, 1830-1842, 3 vol. et atlas) donne très exactement l’ensemble des mosaïques romaines. Les mosaïques de Ravenne présentent nombre de particularités qui leur sont propres ; mais les mosaïques de Rome en laissent