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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

plus tard, et la vue de ses perfections physiques et morales les touche de nouveau et les convertit pour jamais à sa loi[1].

Il n’y a dans tout ceci rien qui n’eût pu arriver également à un ascète brâhmanique, et Çâkya, tout Kchattriya qu’il était, est mis par la légende exactement sur le même pied qu’un Brâhmane. D’autres textes nous font voir ses disciples à peine distingués de ceux qui plus tard devinrent leurs adversaires violents. Entre plusieurs passages que je pourrais invoquer, j’en citerai un seul, qui nous montre un des plus zélés partisans de Çâkyamuni distribuant également ses aumônes aux Buddhistes et aux Brâhmanes, et disant au gardien de la porte de sa maison : « Ne donne pas entrée aux Tîrthyas[2] (ce sont les ascètes brâhmaniques), pendant le temps que l’Assemblée des Religieux, ayant à sa tête le Buddha, sera occupée à prendre son repas ; mon intention est de ne recevoir les Tîrthyas qu’après l’Assemblée[3]. » Et la différence qui existe entre ces deux espèces d’ascètes, le Brâhmane et le Buddhiste, est assez peu tranchée pour qu’à la vue de Kâçyapa, c’est-à-dire de l’un des pre-

  1. Mahâvastu, f. 356 a de mon man. L’endroit où Çâkya retrouva ses cinq premiers disciples est très-célèbre dans les légendes ; on le nomme Rĭchipatana Mrĭgadâva, « le lieu où sont tombés les Rĭchis dans le Bois des antilopes. » Voici comment le Lalita vistara expose l’origine de cette dénomination : « Dans ce temps-là il y avait à Vârâṇasi, dans le Bois des antilopes, au lieu nommé Rĭchipatana, cinq cents Pratyêka Buddhas qui y vivaient. Ayant appris la nouvelle, ils s’élevèrent en l’air à une hauteur de sept empans, et entrant dans l’élément de la lumière, ils s’évanouirent semblables à des météores. Ce qu’il y avait dans leur corps de bile, de phlegme, de chair, d’os, de muscles et de sang, tout cela fut consumé par le feu, et leurs corps purs tombèrent à terre. On dit alors : Les Rĭchis sont tombés ici ; de là vint ensuite à ce lieu le nom de Rĭchipatana, la chute des Rĭchis. » (Lalita vistara, f. 12 b et 13 a.) Le même texte donne une mauvaise explication du nom de Mrĭgadâva, « Bois des antilopes. » La voici : Abhayadattâçtcha tasmin mrĭgâh prativasanti, « les gazelles y habitent en possession de la sécurité, » comme si Mrĭgadâva était formé des éléments qui se trouvent dans datta, savoir , et dans vasanti, savoir va. Fa hian, au commencement du ve siècle de notre ère, visita ce lieu célèbre ; il le nomme dans sa relation « le parc des cerfs de l’Immortel. » (Foe koue ki, p. 304.) Par l’Immortel il faut entendre un Pratyêka Buddha, qui en apprenant que le fils du roi Çuddhôdana allait devenir Buddha, entra lui-même dans le Nirvâṇa. C’est, comme on le voit, notre légende très-légèrement transformée.
  2. Le terme de Tîrthya, ou Tîrthika, ou encore Tîrthakara, signifie littéralement « celui qui fait le pèlerinage des étangs sacrés. » C’est le titre par lequel les livres buddhiques désignent d’une manière générale les ascètes et les Religieux brâhmaniques. Je crains que M. Schmidt n’ait confondu ce mot avec celui de Târkika, « raisonneur, sophiste, » quand il a cru pouvoir avancer que le mot sanscrit Târtika était écrit par les Mongols Tirtika. (Mém. de l’Acad. des sciences de Saint-Pétersbourg, t. II, p. 44 et note.) Je ne vois pas pourquoi le Tirtika mongol ne serait pas simplement la transcription du sanscrit Tîrthika. M. Schmidt est, je crois, plus heureux quand il réduit le mot mongol Tars ou Ters à n’être qu’une altération de ces deux mots sanscrits ; seulement, c’est de Tîrthika qu’il faut le tirer. Cette remarque me paraît mettre à néant toutes les hypothèses par lesquelles on a voulu retrouver les Parses dans les Ters des auteurs mongols.
  3. Nâgara avalambikâ, dans Divya avadâna, f. 38 a. Svâgata, ibid., f. 86 b.