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DU BUDDHISME INDIEN.


aux textes les plus révérés des Brâhmanes eux-mêmes ; les autres s’appuient sur le principe de l’égalité naturelle de tous les hommes. L’auteur montre par des citations tirées du Vêda, de Manu et du Mahâbhârata, que la qualité de Brâhmane n’est inhérente ni au principe qui vit en nous, ni au corps en qui réside ce principe, et qu’elle ne résulte ni de la naissance, ni de la science, ni des pratiques religieuses, ni de l’observation des devoirs moraux, ni de la connaissance des Vêdas. Puisque cette qualité n’est ni inhérente ni acquise, elle n’existe pas ; ou plutôt tous les hommes peuvent la posséder : car pour lui la qualité de Brâhmane, c’est un état de pureté semblable à l’éblouissante blancheur de la fleur du jasmin. Il insiste sur l’absurdité de la loi qui refuse au Çûdra le droit d’embrasser la vie religieuse, sous prétexte que sa religion, à lui, c’est de servir les Brâhmanes. Enfin ses arguments philosophiques sont dirigés principalement contre le mythe qui représente les quatre castes sortant successivement des quatre parties du corps de Brahmâ, de sa tête, de ses bras, de son ventre et de ses pieds. « L’Udumbara[1] et le Panasa[2], dit-il, produisent des fruits qui naissent des branches, de la tige, des articulations et des racines ; et cependant ces fruits ne sont pas distincts les uns des autres, et l’on ne peut pas dire : Ceci est le fruit Brâhmane, cela le fruit Kchattriya, celui-ci le Vâiçya, celui-là le Çûdra, car tous sont nés du même arbre. Il n’y a donc pas quatre classes, il n’y en a qu’une seule[3]. » Entre la légende de Triçangku et le traité d’Açvaghôcha, il y a, on le voit, une différence notable. Dans le second, le sujet est envisagé sous un point de vue aussi philosophique que le peut concevoir un homme de l’Orient ; dans le premier, il est indiqué d’une manière générale plutôt que dogmatique. Dans l’un et dans l’autre toutefois, le point capital est l’appel fait à toutes les classes par le Buddhisme, qui les admet toutes également à la vie religieuse ou, en termes plus généraux, à la culture la plus élevée de l’esprit, et qui brise ainsi la véritable barrière qui, dans le système brâhmanique, les tenait toutes sous le joug de la caste à laquelle le privilége de la naissance assurait celui du savoir et de l’enseignement.

J’ai cherché par les observations précédentes à faire apprécier le véritable caractère des Sûtras que je crois les plus anciens. Après avoir donné quelque vraisemblance à cette opinion, que ceux de ces traités qui portent le titre de Vâipulya sont postérieurs à ceux qui ne le portent pas, c’est-à-dire aux Sûtras mêmes que je viens d’analyser, j’ai essayé d’établir l’ancienneté et l’authenticité des Sûtras simples par l’examen des faits divers qu’ils nous révèlent sur l’état

  1. Ficus glomerata.
  2. Artocarpus integrifolia.
  3. Wujra soochi, p. 11 et 12 de la traduction, p. 10 du texte.