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DU BUDDHISME INDIEN.

les livres que nous avons actuellement sous les yeux sont ou des ouvrages anciens appartenant aux rédactions antérieures, mais remaniés sous l’influence de la dernière, ou des ouvrages tout à fait nouveaux et sortis exclusivement du travail de la troisième assemblée. Il est permis de douter, ainsi que l’a judicieusement remarqué Lassen, que le canon des écritures ait été fixé en entier dès le premier concile, de manière à renfermer, dès cette époque, la totalité de ce qu’on y comprend aujourd’hui[1]. Je crois que la vérité se trouvera dans l’adoption simultanée de ces deux hypothèses, savoir, que nous possédons à la fois et d’anciens livres émanés soit de la première, soit de la seconde rédaction, mais modifiés par la révision des Religieux contemporains de Kanichka, et des livres tout à fait nouveaux introduits par l’autorité souveraine de ce dernier concile, ou même de quelque sage influent, comme Nâgârdjuna.

Deux considérations donnent à cette manière d’envisager la question un très-haut degré de vraisemblance. La première, c’est que l’autorité du dernier concile, quelque grande qu’on la suppose, n’a pu aller jusqu’à détruire les livres antérieurs pour leur en substituer de tout à fait différents. Il ne faut pas perdre en effet de vue les circonstances qui ont rendu nécessaires les deux dernières rédactions des livres canoniques. Ce sont l’existence et les prétentions des sectes qui dans le cours des temps, et grâce au principe de liberté que renfermait le Buddhisme, devaient de bonne heure se développer au sein de l’école fondée par Çâkya. Or ces sectes anciennes ne différaient sans doute les unes des autres que sur la manière d’interpréter les textes sacrés que chacune d’elles invoquait également pour soutenir ses théories. Dès l’origine, et il est permis de le dire, à tous les âges du Buddhisme, ont dû se produire les faits que nous voyons encore de nos jours au Népâl[2], et que Fa hian rencontrait dans l’Inde au commencement du ve siècle de notre ère. Les mêmes textes servaient d’autorité aux opinions les plus divergentes, et une différence de secte n’était qu’une différence d’interprétation. Ainsi, comme le remarque M. Hodgson, les textes mêmes de l’école des naturalistes différemment expliqués sont devenus la base des opinions théistes[3]. Il ne s’agissait donc pas, pour les conciles qui se rassemblaient dans le dessein de faire cesser des divisions funestes, de rédiger des livres nouveaux, mais de faire prédominer l’interprétation des anciens livres à laquelle le concile, qui n’était d’ordinaire que la secte la plus nombreuse,

  1. Lassen, Zeitschrift fur die Kunde des Morgenlandes, t. III, p. 157. La suite de ces recherches prouvera l’exactitude de cette opinion.
  2. Hodgson, Quot. from orig. Sanscr. Author., dans Journ. As. Soc. of Bengal, t. V, p. 72, note.
  3. Europ. Specul. on Buddh., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. III, p. 502, note.