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APPENDICE. — N° III.

Quelque bref que soit le résumé que je viens de présenter des opinions des Mongols, des Tibétains et des Chinois sur Mañdjuçrî, je ne pouvais me dispenser de le placer comme une sorte de préambule à la discussion des documents plus précis que les Népâlais nous fournissent touchant ce personnage énigmatique. Il importe sans doute à l’exécution du plan que je me suis tracé, que je m’en tienne rigoureusement aux matériaux indiens pour traiter une question indienne. Et outre que je n’ai pas le moindre goût à faire parade devant le public d’un savoir qui ne m’appartient pas, comme je n’ai pas directement accès aux textes originaux des Mongols, des Tibétains et des Chinois, je ne pourrais, sous ce rapport, offrir au lecteur que des résultats qui lui auraient été déjà présentés par des critiques plus compétents. Cependant en ce qui regarde Mañdjuçrî, je devais m’éloigner de la règle qui me dirige dans ces études. Je tenais à établir que les peuples chez lesquels s’est répandu le Buddhisme, voient d’un commun accord ; dans ce personnage, le double caractère d’un Religieux à l’existence duquel on croit comme à quelque chose de réel, puisqu’on essaye de fixer la date de sa naissance, et d’une intelligence supérieure qu’on reporte dans les régions immatérielles de l’abstraction et de la mythologie. Or si c’est également de ce point de vue que l’envisagent les Népâlais, ainsi qu’on va le reconnaître bientôt, je pourrai déjà tirer de mon résumé, tout bref qu’il est, cette conséquence historique, savoir, que les peuples étrangers à l’Inde qui ont fait de Mañdjuçrî un des objets de leur culte, suivent en ce point la tradition népâlaise. Peut-être pensera-t-on que cette conséquence ne valait pas la peine de prendre place ici, puisque, de l’aveu de tout le monde, le Buddhisme de ces peuples a sa source dans le Buddhisme indien. Mais si nous arrivons à l’aide des documents népâlais eux-mêmes, à conjecturer que Mañdjuçrî est originairement étranger au Népâl, on sentira qu’il n’était pas inutile de montrer que c’est cependant du Népâl que semblent être sorties les opinions que les peuples convertis au Buddhisme se sont faites sur la mission religieuse de ce grand Bôdhisattva.

Au Népâl comme au Tibet, chez les Mongols et chez les Chinois, Mañdjuçrî est un Bôdhisattva, c’est-à-dire une de ces intelligences supérieures qui sont prédestinées à devenir des Buddhas, et qui n’ont plus qu’une existence mortelle à passer ici-bas avant de remplir cette glorieuse mission. Mais la tendance théiste que manifeste le Buddhisme népâlais a influé sur cette conception. Ainsi un court traité sanscrit qui a pour titre, Nâipâlîya devatâ kalyâṇa pañtchavim̃çatikâ, ou « Vingt-cinq stances pour invoquer la faveur des divinités du Népâl, » traduit par M. Wilson d’après un manuscrit envoyé par M. Hodgson à Calcutta[1] et retraduit plus tard par M. Hodgson lui-même[2], dit que Mañdjuçrî, ou, selon le texte du traité, Mañdjunâtha, est l’un des deux fils du Buddha céleste Akchôbhya ; De même que les huit autres Bôdhisattvas célestes, réputés tous fils de Buddhas surhumains, Mandjunâtha est représenté aux yeux du peuple par un de ces objets visibles, mais inanimés, qui passent pour une portion manifestée de leur substance, et qui portent le nom de Vîtarâga, « celui qui est exempt de passion, » ou « celui par

  1. Notice of three Tracts, etc. dans Asiat. Res. t. XVI, p. 459, note 5.
  2. Translat. of the Nâipâlîya dêvata kulyâṇa, dans Journ. as. Soc. of Bengal, t. XII, ire part., p. 402.