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APPENDICE. — N° IV.

une marche beaucoup plus dégagée et une expression plus claire, si l’on se débarrassait complétement de ce terme purement collectif.

Je reviens maintenant à la seconde signification que le Djina alam̃kâra assigne au mot dhâtu. Après l’énumération des dix-huit Dhâtus, ou des dix-huit éléments ou contenants de la connaissance au point de vue buddhique, le Djina alam̃kâra expose les six éléments, dont cinq sont matériels, et un est immatériel. Ce sont pathavî dhâtu, âpô dhâtu, têdjô dhâtu, vâyô dhâtu, âkâsa dhâtu, viññâṇa dhâtu, « l’élément dit de la terre, celui des eaux, celui du feu, celui du vent, celui de l’éther, celui de la connaissance ou de l’intelligence. » Cette énumération est exactement celle des Buddhistes du Nord, sur laquelle je suis entré dans quelques détails, à l’occasion d’un curieux fragment mongol, traduit par I. J. Schmidt[1]. Je renvoie le lecteur à ces détails, en les modifiant toutefois sur un point important. J’avais pensé, à une époque où j’ignorais que cette classification fût familière aux Buddhistes du Sud, que l’élément purement intellectuel du Vidjñâna ou de l’intelligence était une conception relativement moderne de la philosophie buddhique ; et sans prétendre qu’elle appartînt exclusivement à l’école du Nord, j’avais élevé quelques doutes sur l’ancienneté de cette notion, parce que je ne l’avais pas encore trouvée dans les anciens Suttas pâlis, ou dans ceux que je crois pouvoir regarder comme tels. Aujourd’hui l’énumération du Djina alam̃kâra ne laisse plus de place au doute. Les Buddhistes de Ceylan admettent en réalité, comme ceux du Népâl, ou pour mieux dire, de l’Inde septentrionale, un sixième élément purement immatériel, nommé Vidjñâna, dont les mots connaissance, conscience et intelligence ne donneraient, si je ne me trompe, une idée complète que s’ils pouvaient se réunir en une expression unique. En effet, considéré comme élément, le Vidjnâna est en quelque façon la base de tout ce qui est intelligible, et de tout ce qui est intelligent ; il se peut même que ce ne soit primitivement pour les Buddhistes rien autre chose que la somme des idées abstraites, comme aussi des idées concrètes que donne la sensation mise en jeu par les éléments grossiers.

Au reste, pour ajouter à l’autorité du Djina alam̃kâra, qui n’est qu’une compilation semi-poétique faite à l’aide de matériaux dont la source n’est presque jamais indiquée, quoiqu’elle soit, selon moi, en général très-authentique, je terminerai ces remarques par un passage emprunté à un Sutta pâli du Dîgha nikâya, où le Vidjñâna est en réalité indiqué comme un élément singulièrement élevé. Un Religieux qui a vainement sollicité Çâkyamuni d’opérer des miracles, après avoir demandé à tous les Dêvas de lui expliquer comment a lieu l’anéantissement et l’absorption des éléments, s’adresse à Çâkya, qui après diverses observations lui répond en ces termes : Nakhô sô bhikkhu pañhô êvam̃ putchtchhitabbô kattha nukhô bhantê imé tchattârô mahâbhâtâ aparisêsâ nirudjdjhanti sêyyathîdam̃ pathavidhâtu âpôdhâtu têdjôdhâtu vâyôdhâtûti évañtcha khô ésô bhikkhu pañhô putchtchhitabhô :

Kattha âpôtcha pathavîtcha têdjô vâyô nigâdhati
Kattha dîghañtcha rassañtcha anum̃ thûlam̃ subhâsubham̃
Kattha nâmañtcha rûpañtcha asêsam̃ uparadjdjhantîti.

  1. Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, t. I, p. 636.