Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/79

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comme il parloit. Quoi qu’il soit superflu de dire qu’un rival soit incommode, le chevalier l’étoit au point qu’il eût mieux valu pour une pauvre femme en avoir quatre autres sur les bras que lui seul. Il étoit alerte jusqu’à ne pas dormir ; il étoit libéral jusqu’à la profusion. Par là sa maîtresse et ses rivaux ne pouvoient avoir de valets ni de secrets qui ne fussent sçus ; d’ailleurs le meilleur garçon du monde. Il y avoit douze ans qu’il aimoit la comtesse de Fiesque, femme aussi extraordinaire que lui, c’est-à-dire aussi singulière en mérites que lui en méchantes qualités. Mais comme, de ces douze ans, il y en avoit cinq qu’elle étoit exilée auprès de mademoiselle d’Orléans, fille de Gaston de France, princesse que la fortune persécutoit parcequ’elle avoit de la vertu et qu’elle ne pouvoit réduire son grand courage aux bassesses que la cour demande, pendant leur absence le chevalier ne s’étoit pas adonné à une constance fort régulière ; et, quoique la comtesse fût fort aimable, il méritoit quelque excuse de sa légèreté, puisqu’il n’en avoit jamais reçu de faveur. Il y avoit pourtant des gens à qui il avoit donné de la jalousie ; Rouville[1] en étoit un, et, comme un jour celui-ci reprochoit à la comtesse qu’elle aimoit le

  1. La maison de Rouville est ancienne en Normandie. Le marquis de Rouville dont il s’agit est le beau-frère de Rabutin et son ami. Il avoit été le second amant de Marion Delorme ; il s’étoit battu en duel contre La Ferté-Senneterre ; il étoit joueur ; il avoit fait toutes ses preuves. Loret le place au nombre de ses saints (29 septembre 1652) :
    Ce bon seigneur ne connoist mie
    Mademoiselle Économie.