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Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/167

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moi deux ou trois siècles de souffrance. Tandis que le Roi faisoit tant de galanteries pour Madame, je la voyois tous les jours et je remarquai avec une rage extrême qu’elle les recevoit avec joie. J’en devins maigre, hâve, sec et défait, dans le temps que vous m’en demandâtes la raison ; et, ce qui pensa me faire mourir, ce fut que le Roi me demanda si j’étois malade, et Madame m’en fit la guerre. Enfin ma prudence m’alloit abandonner, et j’allois être la victime de mon silence et de mon rival (car je n’avois encore rien dit à Madame que par le pitoyable état ou j’étois) lorsque je reçus une consolation à laquelle je ne m’attendois pas. Le Roi, qui avoit son dessein formé, continuoit toujours de venir chez Madame ; et, soit que son procédé eût été jusqu’alors une politique ou qu’il devînt scrupuleux, il détourna tout d’un coup les yeux de sa belle-sœur et les attacha sur mademoiselle de La Vallière. La manière d’agir de ce prince fut si éclatante que peu de jours firent remarquer sa passion à tout le monde : il garda toutes les mesures de l’honnêteté, mais il ne s’embarrassa plus des égards qu’on croyoit qu’il avoit pour Madame ; et cette princesse, qui s’imaginoit que le cœur étoit pour elle, fut bien étonnée de le voir aller à sa fille d’honneur ; de l’étonnement elle passa au ressentiment et au dépit de voir échapper une si belle conquête ; et l’un et l’autre furent si grands qu’elle ne put s’empêcher de nous en témoigner quelque chose, à mademoiselle de Montalais et à moi.

« Un jour que le roi entretenoit sa belle à trente pas de Madame : « Je ne sais, nous dit-elle tout