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Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/82

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qui, n’ayant plus tant d’aversion pour la trahison que moi, auroient tout accordé à une pauvre reine mourante ? Mais, grâces à mon amour et à ma sincérité, je ne pus jamais obtenir sur moi de dire que j’y travaillerois. Après cette scrupuleuse vertu, vous fierez-vous à moi ? ne croirez-vous pas à mes paroles comme à vos yeux ? — Il est certain, répliqua La Vallière, que je vous crois beaucoup de vertu. Eh ! s’il se peut, mon cher prince, ayez autant d’amour [1] ; car enfin, je vous déclare aujourd’hui qu’il m’est facile de mourir, mais qu’il m’est impossible de me retirer d’un engagement aussi puissant que le vôtre, et que je renoncerai plutôt à la vie qu’aux charmantes espérances que vous m’avez données : ainsi, aimez-moi ; si vous cessez, je sens bien qu’après la perte de votre cœur, il n’y a plus rien à faire en la vie pour moi. — Quelle indignité ! s’écria le Roi en lui embrassant les genoux, si après ce que je viens d’entendre je pouvois vivre pour une autre que pour vous. »

Après qu’il l’eut assurée d’une constance éternelle, il lui dit adieu jusques au lendemain. C’étoit, comme j’ai déjà dit, dans ce temps-là que le roi passoit presque toutes les nuits avec elle ; il ne la quittoit qu’à trois heures. Il n’en venoit que de partir, elle commençoit à s’endormir,

  1. On lit dans la copie de Conrart un texte qui nous paroît plus vrai : « Croyez une bonne fois que, puisque mon malheur vous a fait naître sur le trône, je ne veux jamais penser au mariage. Ainsy, aimez-moy ou cessez, je sens bien que je ne puis plus rien aimer. » Le Roy lui exprima les choses les plus tendres. Et c’étoit, comme j’ai dit, en ce temps-là que le roi passoit presque toutes les nuits avec elle. »