Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/24

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qui a l’esprit bien tourné et qui sait qu’il n’y a que de la gloire à se rendre commode aux amours de son prince. Le préjugé qu’elle eut des affections du Roi étoit fondé sur ce que, dans un cercle des personnes du premier rang où elle faisoit figure, il s’enquit avec une curiosité extraordinaire du mérite particulier de mademoiselle de Fontange ; il prit un plaisir extrême d’en entendre dire du bien, et le cœur, qui porte quelquefois les sentimens les plus cachés jusque sur les lèvres, lui fit lâcher une parole qui fit connoître aux plus éclairés ce qu’il sentoit pour cette fille : « Assurément, dit le Roi, une personne si belle et si spirituelle est digne d’un attachement considérable, et je ne suis point surpris qu’elle ait fait soupirer tant de monde. — Ah ! reprit M. D. L. M., elle a un défaut : elle est fière et cruelle au dernier point ; on peut dire que tous ses amans ont perdu leur temps auprès d’elle, et qu’ils tenoient plus à sa personne par leur passion que par ses soins. — Il est du devoir, dit le Roi, d’une fille aussi parfaite comme vous la dépeignez, de ne se rendre qu’à bonnes enseignes. » La conversation finit, et le Roi se retira dans le dessein de voir et de parler au plus tôt à celle qui commençoit à faire son inquiétude.

Jamais nouvelle n’a causé tant de transports de joie comme celle qui apprit à mademoiselle de Fontange les sentimens que le Roi avoit pour sa personne ; elle demeura près d’un quart d’heure sans pouvoir répondre à madame D. L. M., qui lui en portoit la parole ; tellement que celle-ci, surprise de son silence, et le prenant pour une marque d’indifférence ou d’insensibilité, lui dit : « Hé quoi ! mademoiselle, le Roi vous aime, et