Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/250

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se rendre à ce qu’il vouloit, et quoique cela fût capable de lui faire mal, elle recommença à manger.

Chacun se récria là-dessus, et dit qu’on voyoit bien ceux qui avoient du pouvoir sur elle. Cela faisoit rire sous cape le maréchal, et il donna si bien dans le panneau, qu’il ne fit que marcher sur les pieds de sa dame, en signe d’amitié. On poussa la débauche jusqu’à l’excès, et, après avoir médit de tout le genre humain, ils médirent d’eux-mêmes. Le maréchal dit au duc de Sault qu’il ne falloit pas s’étonner s’il étoit si gros et si gras, et le marquis de Ragni[1], son frère, si mince et si maigre ; qu’il avoit été fait entre deux portes, au lieu que l’autre avoit été fait dans un lit ; que les coups fourrés étoient toujours mieux fournis que les autres, et qu’il l’avertissoit, s’il ne le savoit pas, qu’il étoit obligé de porter respect au duc de Roquelaure[2], comme à son propre père. Le duc de Sault, pour lui rendre le change, lui dit qu’il ne pouvoit pas lui parler si précisément du sien, parce que sa mère[3] avoit eu tant de galans, qu’il étoit impossible de dire auquel il devoit sa naissance ; que c’étoit dommage que les filles du maréchal de Grancey n’eussent été élevées de la main d’une

  1. Charles-Nicolas de Bonne de Lesdiguières, marquis de Ragny, par sa mère, Anne de la Madelaine de Ragny, seconde femme de son père.
  2. Sur Gaston, marquis, puis duc de Roquelaure, fils du maréchal, voyez une longue et savante note de M. P. Boiteau, t. 1, p. 163.
  3. La mère du maréchal de Grancey étoit Charlotte de Hautemer, comtesse de Grancey, fille de Guillaume, seigneur de Fervaques, maréchal de France.