Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/400

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s’étant amusé ensuite à causer avec sa femme, qui n’avoit guère néanmoins l’esprit libre pour lui répondre, le temps se passa insensiblement, de sorte qu’il entendit qu’on demandoit à souper. Je ne sais si cela le fit ressouvenir qu’il y avoit deux jours qu’il faisoit une grande abstinence, mais enfin la faim commença à le presser si fort, qu’il sentit une grande foiblesse ; il lui fallut néanmoins essuyer non-seulement tout ce temps-là, mais encore tout le lendemain, le duc n’étant sorti que sur le soir pour s’en retourner à Versailles.

D’abord la duchesse vint pour se jeter à son cou ; mais il la repoussa avec un air de mépris, dont étant tout étonnée, elle lui demanda d’où venoit ce traitement, et si c’étoit la récompense de ce qu’elle faisoit pour lui. « Vous ne faites rien pour moi, répondit froidement Caderousse, que vous ne fassiez pour votre mari, qui cependant ne vous a pas donné trop de marques de son amitié. Je vous ai entendu soupirer, perfide que vous êtes, et vous n’en avez pas fait davantage lorsque je vous ai témoigné tout ce que je sentois pour vous ; mais je suis assez vengé du peu de cas qu’il faisoit de vos caresses ; et n’avez-vous point de honte d’aimer déjà qui vous aime si peu ? » La duchesse fut surprise de ces reproches, et voulut lui nier ce qu’il avoit entendu ; mais il sut bien qu’en juger, et, après en avoir été témoin lui-même, il n’eut pas la complaisance de vouloir lui accorder ce qu’elle disoit.

Cette petite querelle fit qu’il ne voulut ni boire ni manger, quoi qu’elle lui pût dire ; et, voulant s’en aller, il se laissa tomber au milieu de la chambre, soit de foiblesse, ou qu’il eût