Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/458

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homme, qui voyoit une certaine madame Sallé[1], femme d’un maître des comptes, et encore quelques autres femmes. Elle s’emporta extraordinairement contre lui, lui reprocha sa naissance et l’honneur qu’elle lui faisoit. Mais lui, qui, depuis qu’il avoit de l’argent, commençoit à se donner des airs de qualité, la traitant mal à son tour, lui dit qu’un homme tel qu’il étoit, quand il avoit de l’honneur, valoit mille fois mieux qu’une femme de qualité qui n’en avoit point ; qu’il ne s’étoit pas loué à elle pour faire le métier de porteur de chaise ; qu’il ne l’avoit que trop caressée et qu’il étoit temps qu’il en caressât d’autres qui lui fissent moins de peine.

C’en étoit assez dire pour faire mourir de douleur une femme amoureuse. Aussi le prit-elle à cœur tellement qu’elle devint sèche comme un bâton, et, le chagrin rongeant tous les jours son esprit de plus en plus, enfin elle acheva ses jours, qu’elle ne pouvoit plus passer aussi bien dans le monde avec honneur. Quand elle se vit à l’extrémité, elle envoya chercher Cabre, et, sachant qu’il refusoit de venir, elle y renvoya une seconde fois, le priant de ne lui pas refuser cette grâce. La petite Sallé, qui ne l’aimoit que parce qu’il se laissoit voler quand il tailloit à la bassette, lui dit que cela étoit vilain de refuser une femme en l’état où elle étoit, et, l’ayant obligé à monter en carrosse, elle y entra avec lui, résolue de l’attendre à la porte.

  1. M. Jacques Sallé, précédemment auditeur des comptes, fut nommé maître des comptes en 1674. Il servoit, comme M. Ladvocat, non le maître des requêtes, mais le maître des comptes, pendant le semestre d’hiver.