Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/124

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Tu as passé inconsciemment du berceau au paradis, sans secousse ! Tendre agnelet, ta blanche toison ne s’est pas accrochée aux ronces du chemin !… Petit voleur de ciel, va ! Tu ne sauras jamais nos labeurs et nos luttes quotidiennes. L’école sombre et malsaine, la férule du maître, qui tient l’enfant enfermé, quand la campagne fleurie, les bois en fête, l’appellent à bondir comme le chien fou. Le doute, qui distille son poison sur nos plus chères croyances. La course vertigineuse au bonheur, ce fantôme fuyant comme la luciole, poursuivie par le mouchoir de la fillette : quand triomphante, elle brandit sa conquête, l’innocente voit qu’elle n’a attrapé qu’un insecte noir, la mouche à feu n’est astre qu’en volant ! Le bonheur, les poètes le disent caché dans les fossettes d’une bouche rose, le jeune homme le croit, mais quand il le veut dénicher, un sourire moqueur de lèvres minces le met en fuite.

Candide illusion, idéal rêvé, que le temps fait évanouir comme les gelées blanches sous l’ardeur du soleil d’avril !… Tu n’as rien connu de ces misères des pauvres humains, petit voleur de ciel ! As-tu pleuré la trahison de l’ami, l’inconstance de l’amour, l’ingratitude de ceux que tu avais comblés de bienfaits ?… As tu senti la sève bouillonnante de la jeunesse se refroidir dans tes veines, pendant que le temps imprimait sa patte d’oie sur tes tempes ?…

— Soudain les bougies pâlirent, noyées dans un « éblouissante clarté. J’allais, j’allais, portée sur l’aile d’un nuage vers une étoile, dont la lumière aveuglante faisait clignoter ma paupière. Des sons, d’une douceur infinie, préludaient à un concert séraphique ; de lointains violoncelles pleuraient comme des voix humaines.

Et la porte d’or des cieux se dressa devant mes yeux éblouis, elle roula sur ses gonds. J’aperçus le paradis