Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/126

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radioscope, je vis défiler les mille formes du destin, qu’une ombre vaporeuse expliquait, à mesure qu’elles passaient.

— « Dans ce sombre palais, vois assis sur ce trône un personnage constellé de pierreries. Des courtisans sont à ses pieds attentifs à ses moindres désirs, pour les satisfaire. Tu le crois heureux, il bâille, gorgé de jouissances matérielles : la satiété l’a écœuré, son cœur est vide et jamais la vérité n’a versé sa lumière sur cette pauvre intelligence.

Vois, dans ce taudis, un grand jeune homme pâle, d’une maigreur presque diaphane, c’est un poète. Il a des envolées sublimes qui le font chanceler de bonheur en le grisant d’harmonie, mais comme il souffre en touchant terre ! Tout heurte ses délicatesses et sa sensibilité affinée. Ce que tu appelles des chants, sont des sanglots qui s’échappent de son cœur, comme des soupirs d’une lyre qu’on brise.

Cette créature est une femme. La nature s’est montrée prodigue à son égard dans la distribution des charmes et des grâces. Son âme a des trésors de tendresses et de dévoûment qu’elle prodigue avec un bonheur délirant. Mais, hélas ! la vie mauvaise est une claie, où son pauvre corps est attaché et labouré par des griffes de fer. Son cœur quand on en a bu l’amour, est rejeté avec dédain, comme une orange dont on a sucé le jus.

Regarde, enfant, et choisis…

Mais une plainte aiguë m’éveilla en sursaut ; je me frottai les yeux. Les cierges crépitaient dans les candélabres d’argent. Le chérubin dormait toujours dans son cercueil d’ivoire. De la pièce voisine j’entendais des gémissements, j’accourus. La mère à genoux, devant le berceau vide, baisait les draps et le petit oreiller, avec des sanglots convulsifs ;

— « Mon enfant !… on m’a volé mon enfant !… »