Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/130

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L’embarras était aussi grand. Pouvait-elle, comme ce lutin, se vautrer dans l’herbe, fouiller les hautes touffes, risquer d’accrocher ses bas et de tacher ses gants. Pourtant, des fraises cueillies soi-même, comme ça doit être bon ! La tentation était forte ; elle allait céder, quand le garçonnet poussa un cri de triomphe, en montrant une superbe fraise.

— Je veux l’avoir, donne ! fit-elle, avec l’entêtement des enfants à qui l’on cède toujours.

— Non, elle est à moi !

Alors, voyant le chagrin de sa compagne, il eut un malicieux sourire et mit la fraise entre ses dents.

— Viens en prendre la moitié !

La petite eut une minute d’hésitation : c’était payer bien cher le plaisir de croquer une moitié de fraise… Mais elle fit un mouvement de jeune chatte, saisit à deux mains la tête sale du petit garçon déguenillé, happa la fraise, en faisant claquer sa langue, une petite langue fine et acérée, qui saura déchirer ses amies plus tard.

Le petit, honteux, penaud, comme un renard qu’une poule aurait pris, remplit le bois de ses lamentables hi ! hi ! hi !… Ah ! fille d’Ève ! fille d’Ève ! Comme je m’étais penchée pour surprendre le dénouement de la comédie enfantine, la fillette m’aperçut. Elle eut des minauderies, des airs penchés de femme faite, qui se sait remarquée, secoua ses jupes et inclina son ombrelle avec des airs mélancoliques…

Et, je pensais en continuant ma promenade aux enfants rougeauds de la campagne, en robe de calicot, pieds nus, et qui barbotent dans la mare aux canards…

Brusquement, le vieux fort s’interposa entre ma personne et les horizons bleutés. Mais il fait peine à voir le sinistre engin de la mort, dans cette nature fleurie. Les