Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/178

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globe d’or, comme on met toute son âme dans un baiser d’adieu. Une traînée rutilante s’étend sur la vaste nappe liquide. L’étoile avant-courrière s’allume dans l’éther, tandis que le soleil descend avec lenteur dans sa couche royale. À l’autre bout de l’horizon, un croissant de lune timide, hésitant, s’élève de l’azur pâlissant…

Dans cette participation amoureuse de toute la nature à l’universelle adoration de l’Éternel, je sentais un lien invisible rattachant tous les mondes dans l’unité d’une perpétuelle création : cet atome de l’infini que nous habitons, à ceux dont la lumière emploie des millions d’années à nous parvenir, à ceux qui errent inconnus, au-delà de la visibilité humaine !

Pour chanter l’harmonie de cette fin du jour, il eut fallu les soupirs d’une harpe divine, la voix d’une sirène, rythmant le bruit des flots dans une aérienne barcarolle. Hélas ! des barbares tapotaient sur le piano, une machine à trois temps, un horrible piam piam ! D’autres ronflaient sur le pont. Des voix rauques clamaient nos airs nationaux. Dans le salon, de lourds danseurs tournoyaient en une valse grotesque, les pieds traînants, les yeux vagues, le cerveau sans pensées, les membres raides comme des poupées automatiques, le front ruisselant de sueur.

Il vaut encore mieux attraper des coups de lune comme ces amoureux perdus dans les coins sombres, comme ces rêveurs qui regardent danser les naïades sur la mousse argentée d’un sillon écumeux, comme ces dévots mystiques, dont l’adoration émue monte vers le ciel en une ardente prière.