Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/203

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grands lis qui penchaient vers toi leurs urnes pures !… Mieux que ta froide glace, notre âme, longtemps après qu’ils ont fui, garde l’empreinte des plaisirs printaniers : leur souvenir nous réchauffe encore, lorsque l’hiver des ans a blanchi notre tête de la neige des cimetières.

Si l’esprit humain s’est ingénié à multiplier les divertissements de tous genres à cette saison de l’année : bals, sauteries, soirées, soupers, théâtres, c’était, je crois, pour arracher l’homme à l’obsession du coin du feu terrible pour celui qui a gâché sa vie et qui se retrouve prématurément vieilli dans un foyer désert, sans un visage ami s’éclairant d’un sourire heureux à son arrivée, sans une âme sœur de la sienne où il puisse épancher le trop-plein de son cœur !

Des souvenirs viennent l’assaillir et le torturer. Pourquoi n’a-t-il pas aimé comme les autres ?… La nature généreuse l’avait doué d’un caractère aimant, sensible, délicat, et voilà qu’il a émietté ces trésors le long de la route : le froment céleste tombé sur un sol pierreux fut dévoré par les passereaux ! Malheureux il n’a pu apaiser cette soif de tendresse qui le dévore ! Le ciel reste fermé. Pas une goutte d’eau ne vient rafraîchir sa lèvre desséchée.

Seul ! toujours seul ! cette pensée ne le quitte plus, elle sonne dans son cerveau fatigué, pareil au « toujours, jamais » de l’horloge infernale, avec l’idée de cette mort qui le hante comme terminus à ses ennuis, sur un lit quelconque d’hôpital, entouré de soins mercenaires, plus seul au milieu de cette cohue intéressée qui guette avec impatience son dernier soupir pour dévorer son maigre héritage, plus isolé qu’un Canadien perdu dans les sables