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bleu — blanc — rouge

votre front la bénédiction de l’aïeul, vous perdez une source de lumière très précieuse en exilant de votre foyer celui qui en devait être la consolation et l’orgueil.

L’homme qui domine la vie du haut d’un siècle, sait le passé et un peu de l’avenir. Comme l’aigle, parvenu aux sommets neigeux, il sonde l’espace avant de l’embrasser. Si près de l’éternité, le grand inconnu le pénètre déjà. De ses lèvres tombent des adages de sagesse, voire même des prophéties. Il a vécu toutes nos douleurs, son sang rougit les ronces du chemin, il sait le dernier mot de la chimère, ce que coûte une heure de folie, un écart du droit sentier de l’honneur. Ce miel de l’expérience qu’il a extrait des fleurs amères de la vie, il nous l’offre, pourquoi le refuser ?

Si grand’père raconte pour la centième fois, peut-être, les anecdotes du bon vieux temps, les traits d’héroïsme dont il palpite encore, recueillez dans votre cœur le parfum que dégagent ces naïfs romans. Songez que bientôt ces lèvres chéries se glaceront, que cette figure aimée disparaîtra dans le brouillard, où tout ce qui a vécu s’évanouit. Qu’avec son image, votre âme s’emplisse de souvenirs pour les heures tristes où le plus brillant soleil de vos jours sera descendu derrière le Mont Royal, alors qu’il ne restera plus de lui qu’une mèche argentée sous un bocal, avec ces simples mots : In Memoriam.

Respectueux, nous saluons le vieux chêne de la forêt dont les racines vivaces étreignent la terre maternelle comme les serres d’un vautour, tandis que la cime découronnée se dresse altière vers le ciel pour lui arracher ses secrets. Le tronc tordu, les branches affaissées racontent tout un passé de luttes avec les génies de l’air, puissances mystérieuses qui le faisaient gémir et se tordre