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bleu — blanc — rouge

La vocation est-elle un mythe ? L’âme lancée dans l’univers serait comme une épave à la merci du flot et des vents, sans aiguille magnétique qui dirigeât sa marche vers le port de l’éternité ? Non, de même que le marin peut lire dans le pâle rayon de l’aurore le pronostic du jour nouveau, il faut épier sur le front de l’enfant, dans ses premiers gestes, dans ses aspirations, les signes précurseurs de sa destinée, afin de le pousser vers cette voie qui l’attire et lui rendre le bonheur plus facile !

Voyez cette bambine à qui l’on donne une poupée pour la première fois, le cœur lui bat ; toute rose de plaisir elle la saisit, presque angoissée de bonheur, la berce, lui dit de douces choses, l’habille et la déshabille sans gaucherie, peigne sa jolie chevelure un peu durement, quelques fils d’or restent dans les dents d’écaille. C’est déjà une petite femme toute à l’assujétissement de ses devoirs maternels. De longues heures durant, elle coud à grands points des langes, des chemises, des robes taillées par la grande sœur. Mais où éclate chez la petite fille une intuition des choses artistiques, c’est dans la confection des minuscules chapeaux. Pas de nuance criarde, rien de surchargé, un sens créatif qui surprend.

Depuis que cette tendresse occupe le cœur de la fillette, c’en est fait de sa joueuse insouciance. Tous ses moments sont pris par le tyran de carton. Regardez-la, faire l’éducation de sa poupée ; écoutez ce qu’elle dit, comme elle la réprimande parfois. Mais vient la réconciliation, la petite mère essuie les larmes de la rebelle avec des baisers. Le soir, elle l’endort dans son petit lit blanc, serrée dans ses bras.

Ah ! comme elle sera malheureuse, si plus tard un destin cruel laisse désert le petit berceau comme un tabernacle vide de la blanche hostie de vie !…