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bleu — blanc — rouge

dont la lèvre goulue l’implore tendrement, frêle bourgeon d’amour fleurissant sur cet arbre des douleurs, écrasé comme une chenille avant de s’être épanoui, et par celle là même qui devait lui insuffler la sève vitale, comme le pélican s’ouvre la veine pour nourrir ses petits.

Malheureuse créature, dans la fièvre du désespoir et de l’agonie, elle a vu se dresser le drame de la passion de sa vie brisée et souillée, la montée du calvaire, seule, sans un Simon de Cyrène pour soutenir sa faiblesse, la poussière du chemin voilant l’azur du ciel, le soleil de la honte brûlant ses épaules, les huées et les crachats de la vile populace, le fiel et le vinaigre des bonnes gens offerts au bout d’une pique, cette pitié dédaigneuse des âmes dissimulées plus noires, plus savamment perverses que celle de la victime. Et ce dernier glaive s’enfonçant dans son cœur, sa faute à elle rejaillissant sur l’enfant innocent, le marquant d’une indélébile tache, la haine du fils devenu homme contre la mère coupable, ses regards chargés de reproches, sa douloureuse surprise d’être rayé du cadastre des honnêtes gens, pour la faute d’une autre. Autant d’épines qui labourent déjà sa pauvre chair de martyre !…

Au paroxysme du délire inconscient, la malheureuse a repoussé le calice de la douleur et de l’opprobre. Meurs plutôt que de tant souffrir !…

Ange d’Isaac, que n’as tu arrêté le bras de la mère affolée, avant que le sacrifice sanglant fût accompli !…

Vous, mère, dont la maternité heureuse nimbe d’or le berceau de votre enfant, n’allez pas la condamner ! N’est-ce pas que le bébé aimé remplit tout votre cœur, n’est-ce pas que tous vos soins sont pour voir un sourire se nicher dans la fossette de la chair rosée ? Si le soleil se mire dans la source, c’est pour réchauffer l’enfantelet, si l’oiseau chante, c’est pour l’endormir, si la rose fleurit c’est pour qu’il l’effeuille, si le gazon se couvre d’un tapis velouté, c’est