Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/44

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Ah ! Société, c’est toi la marâtre ! C’est toi, qui jettes tes enfants au préjugé, cette statue de la vierge doublée de couteaux, de poinçons, de vrilles, toi qui lacères et broies tes victimes, dont le sang coule comme le jus du raisin sous le pressoir au temps de la vendange ! Pourtant la Révolution, en brisant les couronnes, a égalisé tous les fronts, les vertus des ancêtres ne sont plus héréditaires, chacun est devenu l’artisan de son propre destin. Le préjugé traqué, poursuivi chez les nations progressistes, trouve sur les bords du Saint-Laurent gîte et protection… Donnons-lui la chasse à notre tour, qu’il disparaisse à jamais de notre planète…

Quand passera près de vous une femme en noir, et que des petites dames chuchoteront ou s’écartant d’elle. « C’est la mère du condamné ! » Inclinez-vous devant ce grand malheur, c’est la particule de noblesse que le ciel place devant le nom de ses privilégiés !

Songez que cette mère s’est vu enlever son enfant lié et garrotté pour une faute d’une heure, que les mêmes cheveux blonds et fins qu’elle bouclait tous les jours sur ses doigts, quand il était petit, sont tombés sous les ciseaux du tondeur, que son fils qu’elle aime plus encore parce qu’il est malheureux et coupable, dort dans une froide cellule, sous la livrée du forçat, confondu avec des meurtriers… Rappelez-vous que la main du Seigneur s’appesantit indistinctement sur tous, que demain ce sera votre tour, donnez votre sympathie, elle vous sera certainement rendue…