Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/71

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dit que nous étions aussi inconnus de ces beaux seigneurs que les habitants du pôle sud, que jamais un des nôtres (pour des raisons majeures) n’avait cavalcadé sur la route de la terre sainte, avec cette allure crâne et martiale. Mieux vaudrait renouveler l’épisode tragico-comique du paradis terrestre. Un gars de Saint-Martin ferait un superbe Adam. Quant aux madames Ève, il en pleut en bas de Québec. Personne ne trouvera à réclamer sur le prix des costumes !… Vrai, je trouve moins ridicule la naïveté du bonhomme, qui n’a pas besoin de savoir l’histoire de France pour ensemencer son champ, que la vanité dindonne de ceux qui veulent, au nom du patriotisme, se déguiser en bouffons, pour amuser les étrangers à nos dépens. Pauvre Jacques-Cartier, infortunés rois de France, ombres de Maisonneuve, de Duvernay, de Papineau, etc., ce qu’ils doivent tempêter le jour de la Saint Jean Baptiste de se voir caricaturer d’une si grotesque manière ! Mais pour la modique somme de dix sous, on peut aller contempler nos gloires nationales au Musée Éden.

La note gracieuse, (il y en a toujours une) c’est le petit saint Jean-Baptiste, dans sa voiture enguirlandée de verdure, avec l’agneau blanc couché à ses pieds. Le père triomphant est lui même l’impresario de sa progéniture. Il regarde le public avec un orgueil provocateur… « Hein ! vous n’en avez pas d’aussi beaux, vous autres ! C’est moi le papa du saint Jean-Baptiste, » semble-t-il dire, tandis que le bébé envoie des baisers plein ses menottes roses.

Mais le retour est lamentable, le papa, la face congestionnée, tient dans ses bras son saint Jean-Baptiste endormi, le mouton tire la langue, les habits galonnés sont gris de poussière, les marteaux tombent lourdement sur l’enclume, de loin en loin, comme des glas, les fanfares jouent faux, des sueurs noires sillonnent les tempes des musiciens,