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La littérature de l’époque

ils font abstraction de leurs sentiments religieux pour servir la cause nationale. Papineau, inspirateur de son siècle, subit l’influence de Pierre Du Calvet. Il était digne de ramasser le flambeau si brusquement tombé des mains du grand huguenot, dans le temps où il jetait sa plus vive lumière et de le brandir pendant un demi-siècle, jusqu’au jour où, vainqueur de l’éteignoir, il reconquerrait l’espace.

Pour comprendre Papineau, l’ampleur de son rêve, sa maturité de jugement, à l’âge où la sève des vingt ans monte à la tête et l’espèce de fatalité à laquelle son génie obéit, il faut connaître Du Calvet. L’un explique l’autre et le complète. On a fait la part trop grande au merveilleux, au surnaturel dans la vie des héros : Papineau a brodé sur une trame dont les fibres étaient celles de la chair humaine. Il n’a pas pris pour bâtir son rêve les flocons épars dans les buissons, les fils de la vierge, les boules de duvet qui volent dans l’espace. Il n’a pas non plus tiré de sa seule substance l’aire qu’il alla percher à la cime des rochers. La matière première lui a été fournie par d’autres obscurs patriotes qui collaborèrent à l’œuvre commune. Pierre Du Calvet et Papineau ne sont si grands que parce qu’ils absorbent dans leur rayon de pauvres petits luminaires qui s’efforçaient d’éclairer la nuit. C’est le privilège des forts d’imposer leur personnalité à leur siècle. Comme les gros poissons s’assimilent la chair des menus fretins, le héros fait converger vers son foyer tous les reflets épars dans l’ambiance de sa personne.

Il faut entendre Du Calvet faire le récit de ses malheurs.

« Le 13 décembre 1780, pour dernière transmigration, M. Du Calvet fut conduit au couvent des Récollets dont l’aile du bâtiment, destinée auparavant aux chaînes et aux fustigations des réfractaires, avait été convertie en prison militaire d’État. La garde en était confiée au premier geôlier, le père Berrey, homme qui sous le froc cachait non seulement le cœur brutal d’un dragon, mais l’âme féroce d’un bourreau. La peinture n’est pas outrée : ses amis et ses partisans reconnaîtront l’original tableau…