Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celui d’un homme de soixante ans environ, qui avait une barbe grise, rude et longue, et des cheveux de même couleur qui lui tombaient sur les épaules. Je sentais ces poils dégoûtants m’effleurer le cou et le visage.

Qu’on juge de la terreur que devait inspirer une vision pareille : je restais immobile dans la position où je me trouvais, n’osant pas tourner la page, et les yeux fixés dans la glace sur la terrible apparition ; une sueur froide coulait sur tout mon corps. Cet état durait un long temps, et l’immobile fantôme ne se dérangeait pas. Cependant j’entendais encore la porte s’ouvrir, et je voyais derrière moi, dans la glace, entrer une procession sinistre : c’étaient des squelettes horribles, portant d’une main leurs têtes, et de l’autre de longs cierges, qui, au lieu d’un feu rouge et tremblant, jetaient une lumière terne et bleuâtre comme celle des rayons de la lune. Ils se promenaient en rond dans la chambre qui, de très chaude qu’elle était auparavant, devenait glacée, et quelques-uns venaient se baisser au foyer noir et triste, en réchauffant leurs mains longues et livides, et en se tournant vers moi pour me dire : Il fait bien froid.


S’il fallait prendre à la lettre les confessions de Quincey, il aurait offert le type le plus caractérisé de l’opiomane ; son autobiographie devrait trouver place dans un ouvrage technique : ce serait la meilleure, en même temps que la plus littéraire, des cliniques sur les effets de l’opiophagie.

Mais à examiner les faits de plus près il semble bien que si Thomas de Quincey a été un historiographe complaisant, il n’a été un historien ni très complet, ni très exact. Et cela, pour cette raison péremptoire que, selon toute vraisemblance, il a inventé une bonne partie de ce qu’il raconte, et que, comme le dit fort bien M. Aynard, « les illusions