Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’air, mais une vision ; oui, sa propre main et son pied aussi ; en ces moments, il sent qu’il ne peut pas mourir… »

Le jeune héros de la Princesse a éprouvé ces « saisissements étranges » : tout à coup, « en plein jour et au milieu des hommes », tandis qu’il marchait et parlait comme à l’ordinaire, il lui a semblé s’avancer dans un monde de fantômes et il s’est senti lui-même « l’ombre d’un rêve ».

On comprend que Tennyson ait cultivé cet état extatique si propice à l’inspiration lyrique ; il aimait s’abandonner à ces rêveries qui le transportaient loin du terre à terre quotidien et où il goûtait d’ineffables jouissances, car cette émotion extatique n’allait pas sans une sorte de mélancolie voluptueuse[1].

À ces moments il perdait tout contact avec le monde matériel. On conte qu’un jour d’hiver où la neige couvrait le sol d’un épais manteau il n’entendit pas venir la diligence. Brusquement, le Ho ! Ho ! du cocher le réveilla, et levant les yeux de sur le livre qui absorbait sa pensée, il vit une tête de cheval qui paraissait lire par-dessus son épaule.

Quand il errait à travers champs, perdu dans ses rêves, son chapeau à larges bords sur la tête,

  1. Cf. Lauvrière, La morbidité de Tennyson. (Revue germanique, novembre-décembre 1913, note 1, in fine de la page 562.)