Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/302

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avec l’âge ; il était devenu scrupuleux jusqu’à la manie ; son imagination maladive lui faisait prendre en défiance ceux de ses confrères en littérature dont le succès lui portait ombrage. Il s’analysait, du reste, très bien, quand il faisait un retour sur soi ; mais que de regrets tardifs et inutiles ! « Que de vexations n’ai-je pas dû surmonter ! J’ai toujours eu le désir d’écrire et j’étais né pour cela, et cependant il me fallut être fonctionnaire. À mon organisme nerveux, impressionnable, irascible, il faut un air pur et sec, du soleil et du calme, et voilà quarante ans que je vis sous un ciel de plomb, dans le brouillard, sans réussir à trouver un mois par an à consacrer à ce que je voudrais faire et à ce qu’il conviendrait que je fisse. J’ai toujours fait ce que je ne savais pas ou ne désirais pas faire… »

Gontcharov se retira du monde autant par amour du repos que par l’effroi de la vie et des hommes. Son indolence était atavique, comme son horreur de l’agitation et du bruit ; son frère, ses sœurs en avaient aussi présenté les symptômes, quoique à un moindre degré.

Vers la fin de sa vie, Gontcharov traversa les crises de suspicion les moins justifiées ; il fut le persécuté imaginaire qui croit à une conjuration du public contre lui, à un espionnage systématiquement organisé contre sa personne, à une vengeance mystérieuse de personnages inconnus, mais