Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/331

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que les spécialistes n’ont connues qu’en ce siècle, des descriptions d’une exactitude saisissante.

« Dans le peuple innombrable inventé par Dostoïevsky, a-t-on écrit d’autre part[1], il n’y a pas un individu que Charcot ne pût réclamer… ils sont tous dans l’état de possession, tel que l’entendait le moyen âge. » Sans prendre au sens rigoureux cette assertion d’un des critiques à qui nous devons la révélation et la pénétration, jusque dans ses plus intimes replis, de l’âme slave, il n’est pas possible de méconnaître l’intérêt évident que portait le romancier russe aux déséquilibrés, à tous ceux qui présentent des troubles cérébraux nous permettant de les classer dans la catégorie des fous ou des demi-fous.

Un statisticien qui a occupé ses loisirs à dénombrer les aliénés dans l’œuvre de Dostoïevsky n’en a pas compté moins de trente-quatre : ce qui ferait

    Charcot, comme un psychopathologue, Dostoïevsky recherche l’étude des maladies mentales poussées jusqu’à leur plus haut degré d’intensité. C’est par les vomissements du monstre qu’il voit mieux l’homme normal. Un fait seul, tiré du roman Crime et Châtiment, nous prouve à quel point Dostoïevsky mêla le sens artistique à l’instinct de la science : quand Raskolnikoff égaré va à la recherche de Svidrigaïlof et que malgré lui il est poussé spécialement là où se trouve celui-ci, alors que sa volonté et son raisonnement lui indiquaient un autre endroit, ne subit-il pas cette suggestion hypnotique que Dostoïevsky nous explique ensuite comme si, vingt-cinq ans à l’avance, il avait pressenti l’hypnotisme ? » Revue illustrée, 1888, p. 289.

  1. Les Écrivains russes contemporains : F. M. Dostoïevsky, par E. M. de Vogüé (Revue des Deux-Mondes, 15 janvier 1885).