Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fit qu’ils oublièrent quelle était cette soirée. Ils passèrent la nuit entière à causer, sans souci du temps ni de la fatigue, grisés par leurs propres paroles. La conversation roula sur ce qui lui tenait le plus à cœur : la littérature, l’art, la philosophie, la religion. L’ami de Dostoïevsky était athée ; lui, croyant, tous deux également convaincus.

— « Il y a un Dieu ! » cria Dostoïevsky hors de lui. Au même moment, les cloches de l’église voisine sonnèrent les matines de Pâques à toute volée ; l’air fut ébranlé de ce tintement et « je me sentis englouti par la fusion du ciel et de la terre, racontait Fédor Mikhaïlovitch ; j’eus la vision matérielle de la divinité, elle pénétra en moi ». « Oui, Dieu existe ! criai-je, et JE NE ME RAPPELLE RIEN DE CE QUI SUIVIT[1]. »

Ce dernier trait est caractéristique ; cette amnésie après l’accès en donne la signature : le sujet oublie complètement l’origine de sa maladie[2],

  1. Souvenirs d’enfance de Sophie Kovalesky, écrits par elle-même et suivis de sa biographie, par Mme H.-Ch. Leffler, duchesse de Cajanello. Paris, 1907.
  2. D’après Solowiew, qui reçut à cet égard les confidences de Dostoïevsky, celui-ci aurait dit que la première crise eut lieu pendant son temps d’exil ; il se souvenait exactement et en détail de la période de sa vie antérieure à cette crise ; mais depuis, il oublia souvent tout ce qui avait suivi cette première attaque ; il oubliait même ce qu’il avait écrit. Il dut relire son roman, Le Diable, avant d’en écrire la conclusion, car il avait oublié jusqu’au nom des personnages ! (La maladie de Dostoïevsky, par le Dr Tim. Secaloff, traduit du russe, à notre intention, par le Dr Menier.)