Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/351

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familial où il était reçu en ami, ne soupçonnez pas le bonheur que nous éprouvons, nous autres épileptiques, une seconde avant l’accès. Mahomet, dans son Coran, affirme avoir vu le Paradis, y avoir été. De sages imbéciles prétendent que c’est un menteur et un fourbe. Oh ! que non ! il n’a pas menti : il a certainement vu le paradis dans une attaque d’épilepsie, car il en avait comme moi[1]. Je ne sais si cet état bienheureux dure des secondes, des heures ou des mois ; mais, croyez-en ma parole, je ne le céderais pas pour toutes les joies de la terre. »

Dostoïevsky prononça ces derniers mots d’une voix basse, saccadée et d’un ton passionné qui lui était particulier. Ceux qui l’entouraient crurent qu’il allait avoir son attaque : « Sa bouche était convulsée et tout son visage bouleversé » ; mais le narrateur, qui avait deviné la pensée secrète de son auditoire, coupa court à son récit, passa la main sur sa figure et dit, avec un mauvais sourire : « N’ayez pas peur, je sais toujours d’avance quand cela me prend. » Il n’eut pas, en effet, sa crise dans l’instant ; elle était en retard de quelques heures :

  1. Dans une de ses œuvres les plus fortes, Les Possédés, Dostoïevsky revient, avec une persistance obstinée, sur la légende de la fameuse cruche de Mahomet, qui ne put répandre son contenu alors que le prophète, monté sur le coursier d’Allah, parcourait les cieux et l’enfer. (Merejkowsky, op. cit., 97.)