Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/62

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pénible à voir dans tout cela, c’était cette belle figure dont la maigreur et la couleur livide altéraient les lignes autrefois si correctes.

Un sentiment de tristesse profonde saisissait le cœur de quiconque pouvait voir ces yeux rouges comme du sang et à demi-fermés.

« Ah ! s’écriait-il, Jupiter m’en veut de l’avoir raillé ! Voilà dix ans qu’il a pris un des crabes de la Batrachomyomachie et qu’il l’a fixé sur moi ; le monstre me ronge sans cesse… je ne peux plus écrire, je ne peux plus que dicter[1]. »

Son esprit ne l’abandonnait pas dans la souffrance ; son humeur n’était pas changée, sa gaieté même n’était pas entamée ; tout au plus s’était-elle par moments mélancolisée. Parfois elle avait quelque chose de démoniaque et ses railleries n’épargnaient personne, pas même lui[2] ! L’archer lançait la flèche sans se préoccuper qui elle atteignait.

  1. Il en arriva à la fin à savoir à peine ce qu’il dictait, tellement l’abus de l’opium l’endormait.
  2. « … Il y a pourtant des imbéciles, disait-il, qui admirent le courage que j’ai de prolonger ma vie. Or, ont-ils jamais songé à la façon dont je m’y prendrais pour me donner la mort ? Je ne puis ni me pendre, ni m’empoisonner, encore moins me brûler la cervelle ou me jeter par la fenêtre ; me faut-il donc mourir de faim ? Fi !… un genre de mort contraire à tous mes principes ! — Sérieusement, on admettra bien que nous pouvons au moins choisir la forme de notre suicide, ou mieux vaut ne point s’en mêler. »
    Un jour pendant qu’il l’auscultait, son médecin lui demanda :
    — Pouvez-vous siffler ?
    — Hélas ! non, répondit Heine, pas même les pièces de Scribe.