Page:Cabaret-Dupaty - Poetae minores, 1842.djvu/33

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Sa prédiction est accomplie : tu le vois, la blessure est faite ; je suis réduit à te supplier de vouloir bien la guérir. Tu es l'arbitre de ma vie et de ma mort ; accepte un cœur qui vivra désormais pour toi. Les paroles de Cassandre, je m’en souviens, t'arrachèrent des larmes, et tu t'écrias : « Loin de moi ce malheur ! si tel est l'ordre des Destins, qu'ils me ravissent tout, j'y consens ; mais qu'ils n'enlèvent point Pâris à mon amour. » Ah ! pardonne-moi ; l'Amour, qui me rend insensible à tes alarmes, et qui me force à renoncer à ta tendresse, l'Amour se joue aussi de toi. Maître des dieux : il peut à son gré armer de cornes le front de Jupiter, ou lui donner des ailes. L’univers n'admirerait point la beauté d'Hélène (que le ciel fit, hélas ! pour embraser mon cœur), si Jupiter n’avait emprunté les traits d’un cygne. Déjà il était descendu en pluie d’or sur le sein de Danaé ; il avait parcouru l'Ida sous la forme d'un oiseau, et s'était arrêté près des génisses de Cadmus. Qui eût pensé que l'invincible Hercule aurait un jour tenu la quenouille d'Omphale ? Cependant l’Amour l'assujettit à filer la laine. On dit même qu'il porta les habits de sa maîtresse, tandis qu'elle endossait la dépouille du lion de Némée.

Œnone, je me rappelle, à ma honte, que tu as dédaigné pour moi l'hommage d'Apollon. Je n'étais pas plus beau que lui ; mais l'Amour, en lançant sur toi ses traits, n’a consulté que son caprice. Console-toi, pourtant ; si je t'ai sacrifiée, c'est à une digne rivale : Hélène est fille de Jupiter. Mais l'éclat de sa naissance n'est pas ce qui me touche, et sa ravissante beauté lui fait tort. O Nymphe, que n'ai-je été regardé comme un juge ignorant sur la cime de l'Ida ! je ne serais point victime du courroux