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Page:Cadou - Porte d’écume, 1942.djvu/5

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viction. On fait des grâces à ce qui est passé mais la vie reste à conquérir. La pluie sur le toit du wagon.

Ah ! Il y en a eu des kilomètres, des casquettes dorées, des sifflets, des fumées. Et puis la maison blanche sur la côte, les beaux gestes du sémaphore, la fille qui portait le flot dans son panier.

Et la mer l’attendait derrière ses marées.

Amour à épisodes. D’abord il est rouge devant elle comme un qui a beaucoup pleuré ou un timide. Puis de la dune il fait des signes et toute cette chair qui va lui porte au cœur.

Quand les vagues vont repartir il sera là. Et la mer le roulera dans ses draps comme une épave.

Un matin, sur le coup de neuf heures, du soleil plein les places, il s’est levé avec son idée. Il a pris une belle chemise ouverte, faite pour sa poitrine, un pantalon pareil à ceux des matelots, et pieds nus, ça a été vite fait de descendre les rampes de la corniche.

Il est sur le rivage et l’on entend son souffle aussi noir qu’un torrent. La terre se retire. Sa main écarte encore un pâle souvenir. La roue tourne à nouveau : enfin c’est le moment. Il y a une mouette dans le ciel.

L’homme avance à pas lents et on dirait qu’il parle.

« Algues, dit-il, délivrez-moi des hivers et des mains qui me brûlent. Collez-vous à mon front comme un pansement frais. »

Il marche dans le flot et des vagues déjà caressent ses genoux, quelques ressacs plus forts défoncent sa poitrine.

Maintenant, il a autour du cou un grand collier d’eau claire.

Et la mer le couronne.

Sa bouche, avidement, mord un bouquet amer.

Tout son corps est passé sous la porte d’écume.