Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/107

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d’inintelligence, et je ne puis pourtant m’empêcher de témoigner le dédain que j’éprouve pour son horizon borné et pour les jugements qu’elle rend à l’aveuglette, sans aucun esprit de méthode. Je parle, bien entendu, de la critique courante, de celle qui juge avec tous les préjugés littéraires des sots, ne pouvant se mettre au point de vue largement humain que demande une œuvre humaine pour être comprise. Jamais je n’ai vu pareille maladresse. Les quelques coups de poing que la petite critique m’a adressés à l’occasion de Thérèse Raquin se sont perdus, comme toujours, dans le vide. Elle frappe essentiellement à faux, applaudissant les entrechats d’une actrice enfarinée et criant ensuite à l’immoralité à propos d’une étude physiologique, ne comprenant rien, ne voulant rien comprendre, et tapant toujours devant elle, si sa sottise prise de panique lui dit de taper. Il est exaspérant d’être battu pour une faute dont on n’est point coupable. Par moments, je regrette de n’avoir pas écrit des obscénités ; il me semble que je serais heureux de recevoir une bourrade méritée, au milieu de cette grêle de coups qui tombent bêtement sur ma tête, comme des tuiles, sans que je sache pourquoi.

Il n’y a guère, à notre époque, que deux ou trois hommes qui puissent lire, comprendre et juger un livre. De ceux-là je consens à recevoir des leçons, persuadé qu’ils ne parleront pas sans avoir pénétré mes intentions et apprécié les résultats de mes efforts. Ils se garderaient bien de prononcer les grands mots vides de moralité et de pudeur littéraire ; ils me reconnaîtraient le droit, en ces temps de liberté dans l’art, de choisir mes sujets où bon me semble, ne me demandant que des œuvres consciencieuses, sachant que la sottise seule nuit à la dignité des lettres. À coup sûr, l’analyse scientifique que j’ai tenté d’appliquer dans Thérèse Raquin ne les surprendrait pas ; ils y retrouveraient la méthode moderne, l’outil d’enquête universelle dont le siècle se sert avec tant de fièvre pour trouer l’avenir. Quelles que dussent être leurs conclusions, ils admettraient mon point de départ, l’étude du tempérament et des modifications profondes de l’organisme sous la pression des milieux et des circonstances. Je me trouverais en face de