Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/130

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conditions changent. Une pièce sifflée est une pièce tuée. Il faut des circonstances extraordinaires pour qu’elle soit reprise un jour dans de bonnes conditions, et qu’un nouveau public casse le jugement du premier, s’il y a lieu. C’est pourquoi la lutte au théâtre est si difficile, si pleine de périls, lorsqu’on veut y apporter des idées neuves. La moindre blessure reçue devient mortelle. Une foule, toute une salle de quinze cents à deux mille spectateurs, vous ferme brutalement la bouche. Il n’y a qu’à s’incliner. On n’a pas à compter sur les réflexions du lendemain, la conquête lente des esprits, le mouvement de prosélytisme que détermine un livre original. Si l’on n’a pas du coup pris le public en masse, il faut renoncer à l’accoutumer, à le séduire tête par tête. Une seule protestation est possible : publier la pièce sifflée et attendre.

C’est à quoi je me décide, je publie mes pièces sifflées et j’attends. Elles sont trois, les trois premiers soldats d’une armée. Lorsqu’il y en aura une vingtaine, elles sauront se faire respecter. Ce que j’attends, c’est une évolution dans notre littérature dramatique, c’est un apaisement du public et de la critique à mon égard, c’est une appréciation plus nette et plus juste de ce que je suis et de ce que je veux. J’ai beaucoup d’entêtement et de patience. On a bien fini par lire mes romans, on finira par écouter mes pièces.

ÉMILE ZOLA

Paris, premier juin 1878.

Ce volume contient :

Thérèse Raquin, drame en quatre actes, représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la Renaissance, le 11 juillet 1873 ;

Les Héritiers Rabourdin, comédie en trois actes, représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre Cluny, le 3 novembre 1874 ;

Le Bouton de rose, comédie en trois actes, représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 6 mai 1878.