Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/20

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Tandis qu’il posait une par une, avec son calme et sa sûreté coutumière, les assises de ce nouvel édifice, son imagination devançait encore la tâche d’aujourd’hui et lui en préparait d’autres pour demain. Ce passionné de grandeur, qu’on a incriminé de bassesse et de terre à terre, atteignait la chimère et l’utopie. Il avait déjà choisi les titres de ces quatre livres d’apostolat qu’il appelait des évangiles : Fécondité, Travail, Vérité, Justice. Le troisième est près de paraître. Zola portait en lui le quatrième, quand la mort stupide l’a surpris.

L’œuvre demeure inachevée, mais l’unité en est si apparente que, malgré cette brèche, l’effet d’ensemble existe, et après l’énormité de l’effort, ce qui émerveille le plus, c’est la netteté du parti pris. Nul n’a jamais tracé un sillon si droit ; nul n’est si bien demeuré soi-même de son premier à son dernier jour, en se développant ; et nul, par suite, n’est plus aisé à définir en brèves formules, que ce peintre véridique de l’actuel, ce prophète convaincu de l’avenir, cet artiste de la démocratie.

Je sais bien qu’en portant sur lui ce jugement — auquel souscrit d’ailleurs le monde entier — je vais contre une certaine critique de chez nous, dont la malice habituelle consiste à nier aux grands écrivains les qualités qu’ils revendiquent, pour leur en attribuer perfidement d’autres dont on espère qu’ils ne se soucient pas. Et comme Zola s’est proclamé réaliste, naturaliste, épris de modernité, on n’a pas manqué de lui chicaner tout cela pour lui décerner, en manière de consolation hypocrite, avec un dédain qui les faisait presque injurieuses, les somptueuses épithètes de lyrique et de romantique. Acceptons-les pour lui, messieurs. Lyrique ? C’est affaire de tempérament, et ne l’est point qui veut. Romantiques, nous le sommes tous, parce que nous procédons de ceux qui le furent. Zola connaissait trop bien la vraie science de la vie pour ignorer ce qu’on hérite : il a déclaré vingt fois qu’il continuait une évolution littéraire et qu’il ne faisait pas une révolution. Certes même, il se défia moins de ce romantisme invétéré, il s’efforça moins de s’y dérober que Flaubert, qui écrivit, dit-on, Madame Bovary par pénitence et pour asservir sa fantaisie