Page:Cahiers de la Quinzaine, 4e série, n°5, 1902.djvu/23

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disjoint pas du génie. Et puisque je suis ici pour rendre l’hommage suprême au génie d’Émile Zola, son caractère m’appartient : je dois proclamer qu’il fut une conscience, une conscience entêtée, une conscience stoïque.

Il fut aussi, messieurs, un très brave homme, comme disait hier un des anciens de Médan, comme savent tous ceux qui ont eu le privilège de pénétrer dans sa vie intime. Cette bonhomie empressée un peu inquiète et nerveuse ; cette bonté qu’à certains accents soudains on devinait si profonde, qui allait des hommes aux bêtes, des êtres aux choses, qui n’épargnait personne et cependant n’était point banale ; cette timidité charmante qui faisait sa voix brève et embarrassée, son geste hâtif et court ; cette vertu domestique, qui ne s’asservissait à aucun préjugé bourgeois, mais qui ne s’affranchissait non plus d’aucune haute obligation morale ; enfin, cette simplicité qu’il ne cherchait pas, qu’il n’affectait pas, qui était simplement simple et qui me faisait toujours songer à cette boutade de Banville : « Le plus simple est d’avoir du génie » — messieurs, j’en veux rendre témoignage et me hâter ; car je crains de m’attarder aux souvenirs personnels qui m’attendriraient trop, et toute faiblesse, en présence d’un tel mort, serait lâcheté.

Rappelons-nous donc qu’à la fin d’un de ses plus beaux livres Zola décrit une cérémonie comme celle-ci — sans ce grand concours de foule, mais non moins cruelle pour les rares amis qui se serrent les uns contre les autres autour des restes d’un artiste méconnu. En s’éloignant à regret de la fosse à demi comblée, un de ses compagnons, le plus notable, et qui ressemble à Zola comme un frère, prononce une parole de devoir, de réconfort et d’espérance. Messieurs, cette parole est certainement le seul adieu que Zola veuille de nous, et je croirais manquer à une de ses volontés dernières si je partais d’ici sans vous l’avoir redite. Seulement, je ne pensais pas que ce dût être si tôt, ni surtout que je dusse avoir l’honneur de prêter à mon maître ma faible voix pour répéter en son nom, à tout le peuple qui m’environne, cette humble et magnifique devise de toute sa vie : « Travaillons ! »