Page:Cahiers de la quinzaine, série 12, cahiers 4 à 6, 1910-1911.djvu/372

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leurs égoistes loisirs. Sous prétexte de contempler les Idées éternelles et immuables, ils oublient le monde changeant des réalités, ils oublient ces troupeaux d’esclaves qui pourtant les font vivre de leur travail ; ils oublient la pitié pour ceux qui souffrent, ils ne savent pastendrela main à leurs frèresinférieurs et infortunés. (1) (1) J’ai exprimé depuis des sentiments analogues dans les vers suivants :


TEMPLA SERENA

Suave mari magno...
Lucrèce, II.

Accoudé tristement au roc de nos rivages,
Je contemple les flots cabrés sous le grand vent,
Et je plains le pêcheur qu'un espoir décevant
Jette aux cruels écueils fertiles en naufrages.

Dans nos sillons la guerre a semé la terreur ;
La gueule des canons rugit comme un orage.
Vois ! des brutes, avec des hurlements de rage.
Dans un sang fraternel abreuvent leur fureur.

Ne te tairas-tu pas, trompette d'épouvante,
Fol orgueil, vaine soif de domination ?
Gardons notre mépris pour la gloire qu'on vante.

Dédaigneux des lauriers, libre d'ambition,
Le sage, s'éloignant des luttes qu'il contemple,
Se retire en la paix sereine de son temple.


TROP HAUT

Le sommet glacial des sublimes montagnes
Ignore les saisons. Éternellement pur.
Éternellement blanc dans l'immuable azur,
Il dédaigne l'aspect changeant de nos campagnes.

Ah! chercheur d'absolu, crains de devenir dur !
L'impassibilité c'est ta froide compagne ;
Tandis que l'artisan souffre et meurt dans son bagne,
Tu trouves dans la tour d'ivoire un abri sûr.

Vois ! la graine a germé dans notre humble vallée,
Sous un manteau de fleurs la tristesse est vouée
Et nos cœurs attendris commencent d'espérer.

Aux mystères trop hauts notre âme n'est point faite :
De l’infini des cieux escaladez le faîte,
Nous, restons ici-bas pour aimer et pleurer.