Page:Cahiers de la quinzaine, série 13, cahier 8, 1911.djvu/58

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l’on touche dans le sentiment la pensée à l’état naissant, où le sentiment se lève, comme l’aube douloureuse, dans le chaos nocturne des sensations.

D’abord, l’absence de soi.

Puis, la descente en convulsions dans l’abîme. Or, chaque sentiment est un abîme pour l’âme. Mais, entre tous, l’amour.

Qu’appellera-t-on l’âme, sinon l’organe de la connaissance ? Je garde ce nom décrié au seul objet qui jamais ne me lasse.

De la sorte, le cœur est rétabli dans sa prérogative. Il a le privilège du prince, que sa déchéance même ne saurait prescrire.

La véritable connaissance fonde le monde de la charité, et elle seule. On ne saurait rien connaître à moins d’aimer. Et ce n’est pas connaître que de savoir et n’aimer point.

La vie entière est cette femme voilée, que l’homme cherche, dont il fait son épouse, et cognovit eam, l’ayant aimée.

Voilà cette pâleur, ce tremblement qui précède l’embrassement de l’époux. Et sa crainte, peut-être, et son dégoût. Voilà l’homme voué à la connaissance : il est d’abord cadavre à soi-même. Sa chair éclate en rébellion, et se dissocie d’avec lui : elle se fait discorde. Elle bave, elle se vide, elle vomit ; elle s’étrangle, elle se souille ; elle veut fuir l’esclavage qu’elle pressent. Elle ne veut pas se perdre dans le voyage des ténèbres ardentes. Et, parce qu’elle résiste, elle est abandonnée.

Ô terreur ! Elle est laissée là, comme une guenille