Page:Cahiers rationalistes - 1972 - n° 288-289 (extrait Hommage à Paul Langevin, La vie l’œuvre et l’action).djvu/16

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Sur le plan social, pressentant de plus en plus clairement le terrible danger que représenterait, pour l'humanité toute entière, un usage aveugle de la science à des fins destructrices, Paul Langevin devient très vite l'un des membres les plus écoutés de la Ligue des Droits de l'Homme, dont l'action s'élargit peu à peu, sous la pression des circonstances, du plan de la justice individuelle à celui de la justice sociale et internationale. Sollicité par de nombreuses sections provinciales de la Ligue, il ira bien souvent, pendant plusieurs années, faire le dimanche — parfois entre deux nuits de train — des conférences scrupuleusement documentées sur la guerre chimique et bactériologique, et sur la très fallacieuse protection proposée par les marchands de masques à gaz. Souvent aussi, il intervenait à titre strictement personnel, car nombreux étaient à Paris les groupements les plus divers suscités par l'inquiétude générale, qui faisaient appel au grand savant dont la probité intellectuelle et morale était désormais connue de tous.

L'une des plus mémorables circonstances où il intervint se situe dès 1921, dans la très douloureuse affaire de mutinerie de marins survenue quelques mois après l'Armistice. C'était la première fois qu'il acceptait de prendre part, dans une immense salle, à un grand meeting populaire, et l'appréhension qu'il en ressentit nous vaut de posséder le texte de son intervention, qu'il avait complètement rédigée. L'admirable défense prononcée par Paul Langevin après une minutieuse étude du dossier mériterait d'être citée en entier. Voici un extrait du préambule, qui témoigne de manière significative de l'attitude du savant envers les hommes et devant la vie :

« L'effort de comprendre et surtout celui de sentir en commun, le souci pour chacun de pénétrer les sentiments et les mobiles des autres hommes sont les liens nécessaires pour la constitution intime d'une société humaine. A l'oeuvre de destruction, de mensonge et de haine, il nous faut, de toutes nos forces, opposer celle de travail, de lumière et d'amour. Ceux pour qui nous sommes réunis ce soir, les « marins de la Mer noire », expient durement un geste de révolte d'un instant, commis dans des circonstances particulièrement atténuantes même au point de vue de la prompte et brutale justice militaire. »

Rappelant alors les conditions matérielles et physiques effroyables