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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

don arias, à Don Diègue

Et nous, laissons ici l’infant, et allons aider à cette esclave.

Ils sortent.
doña mencia.

Enfin ils partent ! me voici seule ! Oh ! que ne puis-je, grand Dieu, m’abandonner à tous les sentimens qui m’agitent sans que mon honneur ait à se plaindre ! Oh ! que ne puis-je parler, pleurer, gémir en liberté !… Mais non. Pourquoi cette faiblesse ? Non, non ! je suis celle que je suis[1] !… Que le vent emporte et dissipe au plus tôt les paroles insensées qui ont échappé à mon délire ! Loin de me décourager moi-même de la sorte, je dois me réjouir au contraire de ce qu’une occasion m’est donnée de connaître enfin ce que je vaux ; car de même que l’or s’éprouve dans le feu de même la vertu s’éprouve dans les crises. Mon honneur sortira de celle-ci plus pur et plus brillant !… Pitié, pitié, grand Dieu !… je n’ai pas la force de me contenir davantage. — Don Henri ! mon seigneur !

l’infant.

Qui m’appelle ?

doña mencia.

Ô bonheur ! il a parlé.

l’infant.

Que le ciel me protège !

doña mencia.

Quoi ! votre altesse revient à la vie !

l’infant.

Où suis-je ?

doña mencia.

Dans une maison où il y a quelqu’un qui s’intéresse à votre sort.

l’infant.

En croirai-je mes yeux ? Que ce bonheur, pour être à moi, ne s’évanouisse pas dans les airs… Je ne sais ce que je dis ; j’ai besoin de me consulter pour voir si je rêve éveillé ou si je parle en dormant. Mais s’il est vrai que je dorme en ce moment, fasse le ciel que je ne me réveille plus ! et s’il est vrai que je sois éveillé, fasse le ciel que je ne me rendorme jamais ! — Où suis-je donc ?

doña mencia.

Que votre altesse, monseigneur, ne s’inquiète pas de la sorte ; qu’elle s’occupe seulement du soin que réclament ses souffrances. — Revenez, revenez a la vie, et ensuite vous apprendrez de moi où vous êtes.

  1. Io soy quien soy. Je suis celui (ou celle) que je suis. Cette locution, qui est familière aux personnes qui se sont occupées des anciennes chroniques et des vieilles poésies espagnoles, se retrouve assez fréquemment dans les comédies de Calderon. Elle exprime on ne peut mieux, selon nous, cet orgueil tout castillan qui empêche un Espagnol de mal faire, ne serait-ce que par un sentiment de haute estime pour lui-même. C’est pour cela que nous avons cru devoir la reproduire littéralement, quelque étrange qu’elle puisse paraître à des lecteurs français.