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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

mettre d’aller baiser les pieds au roi mon seigneur qui arrive de Castille. C’est le devoir de tout chevalier d’aller lui donner la bienvenue, et je puis y manquer moins qu’un autre. Adieu donc, ma chère âme.

doña mencia.

Don Gutierre ! pourquoi cherchez-vous à m’affliger ?

don gutierre.

Moi ! je cherche à vous affliger !

doña mencia.

Cette visite dont vous parlez n’est qu’un prétexte ; ce n’est pas là la véritable raison qui vous appelle à Séville.

don gutierre.

Je vous jure sur vos yeux qu’il n’y en a point d’autre.

doña mencia.

Si fait, et je la connais.

don gutierre.

Et laquelle ?

doña mencia.

Je n’en puis douter, c’est doña Léonor que vous allez voir.

don gutierre.

Que dites-vous ? doña Léonor ?

doña mencia.

Oui, cette doña Léonor que vous avez tant aimée.

don gutierre.

Laissons cela. Ne prononcez pas même son nom ; il me déplaît, je le déteste.

doña mencia.

Vous êtes ainsi faits, vous autres hommes. Un jour l’amour le plus dévoué, le plus ardent, le lendemain l’oubli ; un jour une passion que rien n’arrête, le lendemain la lassitude, l’indifférence ou la haine.

don gutierre.

Oui, elle me plaisait, je la trouvais belle avant que de vous connaître ; mais depuis que je vous ai vue, je m’étonne qu’elle ait pu fixer ma pensée un seul instant. Ainsi le voyageur, la nuit, regarde une étoile qui brille dans le ciel ; mais quand le soleil a paru, il détourna les yeux avec dédain de cette étoile qui l’a charmé.

doña mencia.

Voilà une comparaison beaucoup trop flatteuse pour moi.

don gutierre.

Enfin, m’accordez-vous la permission que je vous demande ?

doña mencia.

Il parait que vous tenez beaucoup à aller à Séville ?

don gutierre.

Si je ne consultais que mon cœur, j’aimerais bien mieux demeurer auprès de vous ; mais mon devoir m’appelle auprès du roi.