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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

écus ; mais si d’ici à un mois vous ne m’avez pas fait rire, on vous arrachera les dents.

coquin.

À moi, sire ?

le roi.

À vous-même.

coquin.

Diable ! c’est un contrat illicite et frauduleux que vous me proposez, et dans lequel, si je l’accepte, je risque évidemment d’être lésé.

le roi.

Comment donc ?

coquin.

Cela est clair. D’une part, quand un homme rit, on dit de lui qu’il montre ses dents, — et moi je rirai sans montrer les miennes. Puis, d’autre part, on rapporte que vous êtes si sévère que vous montrez les dents à tout le monde, et à moi seul vous voulez qu’on les arrache ; mais n’importe. Je consens, c’est convenu. J’en passe par où vous voulez, afin que vous me laissiez passer mon chemin. Ainsi, à moi vos écus, si je gagne, et si je perds, à vous mes dents. D’ailleurs, j’ai un mois, et d’ici la je trouverai bien quelque chose qui vous aille ; car je ne veux pas que la vieillesse arrive en poste dans ma bouche. Mais aujourd’hui, je vois qu’il n’y a pas à mordre sur vous, et je prends congé de votre altesse pour aller réfléchir à ma gaieté. Adieu, sire, au revoir.

Il sort.
Entrent L’INFANT, DON GUTIERRE, DON DIÈGUE et DON ARIAS.
l’infant.

Que votre majesté me donne la main.

le roi.

Soyez le bien venu, Henri. Comment vous trouvez-vous ?

l’infant.

Très-bien, sire ; j’ai eu plus de peur que de mal.

don gutierre.

Sire, s’il m’était permis, à moi chétif et humble, de prétendre à une faveur si haute, je demanderais à votre majesté de baiser votre main royale. Il y avait bien long-temps que l’Andalousie n’avait été honorée de votre présence glorieuse.

le roi.

Trêve de complimens, don Gutierre Alfonso !

don gutierre.

D’où vient le ton sévère de votre majesté ?

le roi.

J’ai entendu parler de vous.

don gutierre.

Par mes ennemis, sans doute ?