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JOURNÉE III, SCÈNE II.

le roi.

Henri ! Henri ! c’est à moi que vous vous attaquez ! Quelle horreur !


l’infant.

Je demeure interdit et confus. (Il laisse tomber le poignard.) Il vaut mieux que je m’éloigne de votre présence et que je me retire en un lieu où vous ne puissiez pas vous imaginer que je veuille verser votre sang, moi malheureux !

Il sort.
le roi.

Que le ciel me soit en aide ! — Qu’est-ce que cela signifie ? Ce n’est pas la douleur physique que je sens ; c’est une peine de cœur bien autrement insupportable. — Un frère qui attente a la vie de son frère ! un infant de Castille qui attente a la vie de son roi ! — Après tout, pourquoi m’en étonné-je ? De quel projet si noir ne serait pas capable celui qui, par les plus vils moyens, cherche à séduire l’épouse d’un loyal gentilhomme ! — Mon âme en est encore soulevée ! — Plaise à Dieu que ces commencemens n’arrivent pas à une telle fin que le monde soit épouvanté par un déluge de sang !

Il sort.
don gutierre.

Quelle affreuse journée ! quels assauts j’ai eus à soutenir ! — Et le roi qui oublie que je suis là, que j’écoute et entends tout ! — Dieu me protège ! que disait donc l’infant ? — Non, jamais ma bouche ne répétera des paroles qui renferment mon outrage ! — Arrachons d’un seul coup toutes les racines du mal. Que Mencia périsse ; qu’elle baigne de son sang le lit sur lequel elle repose ; et puisque l’infant a laissé ce poignard une seconde fois à ma disposition, qu’elle meure par ce poignard ! (Il ramasse le poignard.) Cependant il convient que le public ne soit pas instruit de la chose… Un outrage secret demande une vengeance secrète… Que Mencia meure de telle sorte que personne ne devine le motif de sa mort !… — Mais avant que j’en vienne là, que le ciel me frappe moi-même pour que je ne voie pas les tragédies d’un amour si malheureux !

Il sort.

Scène II.

Unue chambre.
Entrent DOÑA MENCIA et JACINTHE.
jacinthe.

D’où vient, madame, cette tristesse qui ternit votre beauté ? Maintenant vous ne faites plus que pleurer nuit et jour.

doña mencia.

Il est vrai ; mais j’en ai bien le sujet. Oui, Jacinthe, depuis cette matinée où je te confiai, s’il t’en souvient, que j’avais eu la nuit précédente un entretien avec l’infant, et que toi tu me répondis que